ALLOCUTION DU PREMIER PRESIDENT DE LA COUR SUPREME - AUDIENCE SOLENNELLE DE RENTREE DE LA COUR SUPREME DE FEVRIER 2019

6 octobre 2024

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Monsieur le Président du Sénat,

Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale,

Monsieur le Premier Ministre, Chef du Gouvernement,

Monsieur le Président du Conseil Economique et Social,

Monsieur le Président du Conseil Constitutionnel

Monsieur le Ministre d’Etat, Ministre de la Justice, Garde des Sceaux,

Monsieur le Ministre d’Etat, Ministre du Tourisme et des Loisirs,

Monsieur le Ministre d’Etat, Ministre de l’Enseignement Supérieur,

Monsieur le Chancelier des Ordres Nationaux,

Mesdames et Messieurs les Ministres,

Mesdames et Messieurs les Ministres Délégués et Secrétaires d’Etat,

Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs et Représentants des Organisations Internationales,

Monsieur le Secrétaire Permanent de l’OHADA,

Monsieur le Directeur Général de l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature,

Monsieur le Gouverneur de la Région du Centre,

Monsieur le Délégué du Gouvernement auprès de la Communauté Urbaine de Yaoundé,

 

Mesdames et Messieurs les Magistrats,

Messieurs les Officiers Généraux,

Monsieur le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats,

Madame la Présidente de la Chambre Nationale des Notaires,

Monsieur le Président de la Chambre Nationale des Huissiers,

Autorités Traditionnelles et Religieuses,

Chers Maîtres,

Honorables invités,

Mesdames et Messieurs,

 

La Cour Suprême du Cameroun est flattée par vos hautes présences respectives, dans cette salle, parée de son décor de grands jours et vous souhaite la bienvenue en ces lieux.

L’article 33 de la loi 2006/016 du 29 décembre2006 fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour Suprême dispose en son alinéa 1 que : « Au début de chaque année judiciaire et au plus tard le 28 février, la Cour Suprême tient, sous la présidence du Premier Président une audience solennelle de rentrée à laquelle assistent également en robe, les chefs des Cours d’Appels, des juridictions inférieures en matière de contentieux administratif et des juridictions inférieures des comptes ».

L’audience solennelle de ce jour entend remplir une double exigence : le respect scrupuleux de la loi susvisée et l’observation des usages des hautes juridictions modernes.

A l’occasion de cette rentrée et pour sacrifier au rituel, nous avons choisi de partager avec vous une réflexion qui touche à l’actualité de notre pays et surtout aux exigences de notre démocratie et de notre Etat de Droit :

« La démesure dans l’expression des libertés au Cameroun ».

 

Excellences, Mesdames et Messieurs,

Le petit dictionnaire «Hachette» définit la démesure comme l’excès, ce qui va au-delà de la mesure normale.

L’exercice des libertés est marqué par la dialectique de ce qui est permis et de ce qui est interdit.

La démesure dans l’expression des libertés renvoie aux dérives qui foisonnent au Cameroun dans le domaine des libertés, alors que le cadre légal est bien matérialisé dans notre pays.

Notre démocratie a pour fondement l’éclosion des libertés ([1])  et l’Etat de Droit ne s’apprécie véritablement qu’en fonction de l’expression des libertés publiques.

En guise d’introduction au recueil des textes : Cameroun, Droits et libertés, le Président Paul Biya affirmait en 1990 que : « La démocratie, c’est avant tout la liberté.

Liberté de presse,

Liberté d’opinion,

Liberté d’expression,

Liberté d’association

Elections libres ». ([2])

Les libertés s’expriment ou se déploient sous différentes formes dans notre pays ([3]).

Elles épousent les contours divers et éclatent parfois dans plusieurs directions ([4]).

Depuis 1990, le recueil de textes « Droits et libertés » ([5]) avait consigné sans complaisance le mouvement normatif d’une société camerounaise éprise de liberté et de démocratie ([6]).

 

Depuis trente ans, l’exercice des libertés s’est considérablement améliorée dans notre pays ([7]).

Le décor normatif a ratissé large pour instaurer au Cameroun une véritable culture de la liberté et de la paix.

C’est ce qui ressort  de la constitution révisée du 18 janvier 1996 qui consacre tant dans son préambule que dans son corps les dispositions visant la protection des libertés ([8]).

C’est ce qui ressort également de nombreuses conventions et chartes internationales ratifiées par le Cameroun ([9]).

Plusieurs institutions ont été créées pour faciliter le respect et l’exercice des libertés ([10]).

                Au regard de la densité de l’arsenal juridique et des institutions au service des libertés, on peut dire que notre pays constitue une terre fertile où  les libertés se cultivent et s’exercent librement. Mais la réalité quotidienne nous révèle l’existence d’un vent contraire.

 

 

                En effet, le législateur a minutieusement fixé le cadre légal de l’exercice de chaque liberté ([11]). On constate pour le regretter, l’inflation de nombreuses dérives de nature à remettre en cause la substance de notre Etat de Droit.

                Il est urgent d’envisager les voies et moyens pouvant permettre à notre pays de consolider son Etat de Droit, qui n’est compatible qu’avec une expression pondérée des libertés.

 

Excellences, Mesdames et Messieurs.

                Le cadre légal de l’expression des libertés a été fixé par plusieurs textes complémentaires ; les libertés sont plurielles et il est judicieux d’examiner celles-ci en fonction de leur champ de rattachement.

                On distingue les libertés politiques ([12]), les libertés sociales ([13]) et les libertés économiques ([14]).

                Dans la rubrique des libertés politiques, on peut mettre en exergue le cadre légal des partis politiques, la liberté de réunion  et de manifestation et la liberté de communication.

                La constitution en son article 3 précise que : « les partis et formations politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils doivent respecter le principe de la démocratie, de la souveraineté et de l’unité nationale. Ils se forment et exercent leurs activités conformément à la loi ».

                La loi n°90/056 du 19 décembre 1990 dispose en son article 1er que : « les partis politiques sont des associations qui concourent à l’expression des suffrages ». ([15])

                 Les partis politiques se créent et exercent librement leurs activités dans le cadre de la constitution et de la présente loi. D’après l’article 3 de la loi n° 90/056 susvisée :

« (1) Nul ne peut être contraint d’adhérer à un parti politique

  (2)   Nul ne peut être inquiété en raison de son appartenance ou de sa non appartenance à  un parti politique » ([16]).

                Les partis politiques ont donc un cadre bien balisé pour développer leurs activités. Dans le cadre des élections, la loi n° 2012/001 du 19 avril 2012 portant Code électoral prévoit des mécanismes qui permettent à chaque parti politique de concourir à l’expression du suffrage.

                En ce qui concerne la liberté de réunion et de manifestations publiques, son régime est fixé par la loi n° 90/055 du 19 décembre 1990.

                L’article 2 de la loi susvisée, dispose à ce sujet que : « A un caractère public, toute réunion qui se tient dans le lieu public ou ouvert au public ».

                L’article 3 ajoute : « Les réunions publiques, quelqu’en soit l’objet, sont libres.

                Toutefois, elles doivent faire l’objet d’une déclaration préalable.

                Sauf autorisation spéciale, les réunions sur la voie publique sont interdites. »

                Toutes les manifestations publiques, cortèges, défilés, marches et rassemblements de personnes et d’une manière générale, toutes les manifestations sur la voie publique sont soumises à l’obligation de déclaration préalable.

                Cette déclaration est faite chez le sous-préfet qui coiffe l’arrondissement dans lequel la manifestation doit avoir lieu, 07 jours avant la date des manifestations. Il en délivre immédiatement récépissé.

                S’il estime qu’il y a risque de trouble à l’ordre public, il peut décider du changement du lieu et dans le cas extrême, interdire la manifestation. En cas d’interdiction de la manifestation, l’organisateur peut saisir par requête le Président du tribunal de Grande Instance compétent qui statue par ordonnance dans un délai de 08 jours de la saisine, les parties entendues en Chambre du conseil.

                Cette ordonnance est susceptible de recours dans les conditions de Droit Commun ([17]).

                Minutieusement réglementées au Cameroun, les libertés politiques connaissent ces dernières années  de nombreuses dérives. C’est le règne de la démesure.

                Pour les partis politiques, on constate que certains ont régulièrement exercé leurs activités dans le cadre légal et ont participé à l’expression des suffrages. L’élection présidentielle du 07 octobre 2018 s’est déroulée conformément aux dispositions de la loi n° 2012/01 du 19 avril 2012 portant  Code électoral modifiée et complétée par la loi n° 2012/017 du 21 décembre 2012.

                La compétition électorale est arrivée à son terme. Le Conseil Constitutionnel conformément aux dispositions de l’article 137 de la loi susvisée a proclamé les résultats et sa décision ne peut faire l’objet d’aucun recours.

                Toutes les contestations formulées devant une tribune autre que celle prévue par la loi électorale constitue une dérive de l’expression des libertés politiques. C’est du libertinage politique.

                La tribune des réseaux sociaux et de la démocratie virtuelle ne changent pas nos lois.

                Plus grave se trouve être la situation de ceux qui ont choisi, non pas d’exprimer leur volonté politique dans le cadre d’un parti, mais plutôt dans le cadre des mouvements terroristes. Il s’agit simplement de la négation de la liberté politique. Les actes terroristes sont sévèrement condamnés tant par le règlement 01/CEMAC du 11 avril 2016, que par la loi Camerounaise n°2014/028 du 23 décembre 2014 portant répression des actes de terrorisme.

                Le règlement CEMAC prévoit en son article 121 que :

                « Les personnes physiques coupables d’une infraction de financement de terrorisme ou de la prolifération, sont punies d’une peine d’emprisonnement de dix (10) à 20 ans et d’une amende égale au moins au quintuple de la valeur des biens ou des fonds sur lesquels ont porté les opérations de financement du terrorisme.

Les peines sont doublées en cas de récidive ou si l’auteur du financement a agi dans le cadre d’une bande. »

                La loi camerounaise en son article 2 dispose que : « Est puni de la peine de mort celui qui à titre personnel, en complicité ou en coaction, commet tout acte ou menace d’acte susceptible de causer la mort, de mettre en danger l’intégrité physique, d’occasionner des dommages corporels ou matériels, des dommages aux ressources naturelles, à l’environnement ou au patrimoine culturel dans l’intention : d’intimider la population, de provoquer une situation de terreur ou de contraindre la victime, le gouvernement et/ou une organisation, nationale ou internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque… »

                L’article 13 de la loi susvisée prévoit la possibilité d’admission des circonstances atténuantes et dans ce cas :

« (1) La peine d’emprisonnement ne peut être inférieure à 10 (dix) ans.

   (2) La peine d’amende ne peut être inférieure à 20.000.000 de francs CFA.

  (3) Dans tous les cas, le sursis ne peut être accordé ».

                On le voit bien, la répression est proportionnelle à la gravité des actes.

                Pour les réunions et manifestations non déclarées ou ayant bravé l’interdiction de l’autorité ([18]) administrative, la loi n° 90/055 du 19 décembre 1990 prévoit en son article 9 que les peines applicables sont celles de l’article 231 du Code Pénal qui prévoit: « un emprisonnement de 15 jours à 06 mois et une amende de 5.000 à 100.000 francs »

                Ces sanctions visent autant les organisateurs que les participants.

Excellences, Mesdames et Messieurs.

                Toujours dans le champ des libertés politiques, la liberté de communication ne s’exprime pas toujours dans le cadre balisé par les lois ([19]).

                Elle semble être le terrain fertile de tous les abus et de toutes les dérives.

                En effet, la liberté de communication est régie au Cameroun par la loi n° 90/052 du 19 décembre 1990 qui dispose en son article 1er que :

« La liberté de presse garantie par la constitution s’exerce dans le cadre des dispositions de la présente loi ».

                L’article 2 de la loi susvisée enchaine que :

« (1) La présente loi s’applique à toutes les formes et à tous les modes de communication sociale, notamment à l’imprimerie, à la librairie, aux organes de presse, aux entreprises de distribution, à l’affichage et aux entreprises de communication audiovisuelle.

  • La profession de journaliste s’exerce conformément aux dispositions de la présente loi ».

                C’est à la faveur de cette loi, qu’une multitude de journaux, de radios et de télévisions privées ont vu le jour au Cameroun.

                Ces mass médias ont toujours fonctionné  en ayant à l’esprit, les limites fixés par des articles 60 à 87 de la loi susvisée qui définissent les infractions susceptibles d’être commises et les sanctions pénales conséquentes ([20]).

                L’avènement des nouvelles technologies de l’information et surtout  l’internet ont révolutionné la pratique de la liberté de presse et accru les risques de dérives dans la communication ([21]).

                La liberté d’expression et d’opinion peut s’exercer sur tout support de communication et notamment sur le réseau internet.

                La communication au public par voie électronique est libre.

                Chaque citoyen peut créer un site internet, un blog, s’inscrire sur un forum ou sur un réseau social où il peut exprimer ses croyances religieuses, ses opinions politiques. Mais tout n’est pas permis.

                Le cyberespace est devenu un terrain par excellence d’une liberté de presse sans foi, ni loi.

                Le cyberespace est devenu un Tribunal où on juge et condamne tout le monde, sans voies de recours.

                Le cyberespace est devenu, un domaine par excellence de la diffamation, des injures et de menaces sous conditions ou simples.

                Le cyberespace est devenu le terrain par excellence des escroqueries et du chantage.

                Le cyberespace est devenu le terreau des haines, du tribalisme, des violences, d’atteintes aux symboles de l’Etat.

                Pour pallier à ces dérives, le législateur camerounais a envisagé la répression de ces dérapages dans plusieurs textes :

  • La loi sur la communication sociale s’applique sur internet et des règles sont les mêmes concernant les infractions contre les tiers ou l’Etat. (injures, diffamation, propagation de fausses nouvelles, escroquerie…)

  • Les dispositions du Code Pénal sont applicables

  • La loi n° 2010-012 du 21 décembre 2010 relative à la cybersécurité et la cybercriminalité au Cameroun.

           Il faut sanctionner à la hauteur de leur désinvolture ceux qui volontiers confondent, pour parler comme un auteur : « La liberté de penser et la liberté de publier sa pensée ».

                Ces lois doivent maintenant plus que jamais être appliquées dans l’esprit du principe de la légalité des délits et des peines et en tenant compte de la présomption d’innocence.

                Elles doivent nous rappeler cette pensée de Daniel SALLES : « Si la liberté d’expression est un principe fondamental des sociétés démocratiques, elle ne peut cependant pas s’exercer sans limites et elle est limitée par la loi. »

 

Excellences, Mesdames et Messieurs.

                En dehors des libertés politiques, on relève également que les libertés sociales ne s’exercent pas toujours au Cameroun, dans les limites fixées par la loi.

                Intéressons-nous à la liberté d’association qui est régie au Cameroun par la loi n° 90/053 du 19 décembre 1990 ([22]).

                L’article 1er de cette loi dispose que :

« (1) La liberté d’association proclamée par le préambule de la constitution est régie par les dispositions de la présente loi.

   (2)  Elle est la faculté de créer une association, d’y adhérer ou de ne pas y adhérer.

  (3)  Elle est reconnue à toute personne physique ou morale sur l’ensemble du territoire national ».

        Définie comme la convention par laquelle des personnes mettent en commun leurs connaissances ou leurs activités dans un but autre que de partager les bénéfices ([23]), la liberté d’association vaut tout son pesant d’or au Cameroun.

        D’après l’article 4  de la loi n°90/053 du 19 décembre 1990 « les associations fondées sur une cause en vue d’un objet contraire à la constitution, aux lois, et aux bonnes mœurs, ainsi que celles qui auraient pour but de porter atteinte notamment à la sécurité, à l’intégrité territoriale, à l’unité nationale, à l’intégration nationale et à la forme républicaine de l’Etat sont nulles et de nul effet ».

        Les associations obéissent à deux régimes :

  • Le régime de la déclaration

  • Le régime de l’autorisation

Les associations étrangères et les associations religieuses ([24]) relèvent du régime de l’autorisation.

Il convient de s’appesantir quelque peu sur les associations religieuses.

D’après l’article 22 de la loi 90/053 du 19 décembre 1990 :

« Est considéré comme association religieuse :

  • Tout groupement de personnes physiques ou morales ayant pour vocation de rendre hommage à une divinité([25])

  • Tout groupement de personnes vivant en communauté conformément à une doctrine religieuse ».

Toute association religieuse, pour fonctionner au Cameroun doit être autorisée ; il en est de même de tout établissement congréganiste.

Cette autorisation est prononcée par décret du Président de la République, après avis motivé du Ministre chargé de l’administration territoriale.

L’objet initial de l’association ne doit pas être dévié au cours du fonctionnement ; cela constituerait une cause de dissolution ([26]).

Il existe des garde-fous pour encadrer l’activité des associations au Cameroun ; on assiste cependant à de nombreuses dérives en dépit des dispositions légales.

On surprend des associations qui sont devenues de véritables établissements de  micro-finances ou même des « marchés boursiers », en oubliant qu’elles ne doivent pas devenir des centres de recherche et de partage de bénéfices.

On découvre également que de nombreuses associations religieuses prolifèrent, sans se conformer à l’exigence de l’autorisation légale. Et même autorisées, certains adeptes des  églises dites « réveillées » constatent que les Gourous ou les prophètes se sont mués en escrocs en emportant d’importantes sommes appartenant à leurs ouailles.

C’est une dérive intolérable, lorsque la liberté de culte devient un moyen comme tant d’autres, au service de l’escroquerie ([27]).

Parfois au nom de la liberté de culte, les groupements de personnes qui sont supposés vivre en communauté conformément à une doctrine religieuse se trouvent profondément divisés, pourtant l’esprit global d’une association religieuse est de prôner la concertation et la paix. ([28])

La liberté d’association religieuse doit demeurer  dans l’esprit que le législateur a bien voulu consigner dans la loi n° 90/053 avec le corollaire des sanctions développées dans les articles 28 à 31de cette loi.

Toujours dans le cadre des libertés sociales, la liberté syndicale ([29]) ne manque pas d’attirer l’attention.

Le syndicat professionnel est un groupement constitué par des personnes exerçant une même profession, ou des professions connexes ou similaires, pour l’étude et la défense des droits ainsi que les intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu’individuels des personnes visées par les statuts.

Le syndicat jouit de la personnalité civile.

Au Cameroun, le décret n° 93/576/P.M du 15 juillet 1993 fixe la forme du certificat d’enregistrement d’un syndicat ([30]).

La liberté syndicale est particulièrement mise en exergue par la pluralité des syndicats et par des actions récurrentes menées par ces groupements.

Tous ces syndicats sont encadrés par la convention n°87 de l’OIT concernant la liberté syndicale et la protection du Droit syndical que le Cameroun a ratifié.

D’après l’article 2 de ladite convention : « Les travailleurs et les employeurs, sans distinction d’aucune sorte, ont le Droit sans autorisation préalable, de constituer des organisations de leur choix, ainsi que celui de s’affilier à ces organisations, à la seule condition de se conformer aux statuts de ces dernières ».

L’article 8 de la convention 87 invite des syndicalistes à exercer leurs activités dans le respect strict de la légalité.

Par ailleurs, la convention invite le législateur national à éviter de porter atteintes aux garanties prévues par la convention.

Les actions menées par les syndicats ne se trouvent pas toujours insérées dans le cadre légal. Là encore il y a parfois une démesure résultant de la violation des textes en la matière ([31]).

La multiplication des mots d’ordre de grève ne s’appuie pas de manière rigoureuse sur les textes qui encadrent le droit de grève. La liberté syndicale ne se réduit pas à la liberté de grève

Excellences, Mesdames et Messieurs.

La démesure touche aussi la liberté économique ([32]).

La liberté de commerce est régie au Cameroun par la loi n° 90/031 du 10 août 1990 qui dispose en son article 1er que : « La présente loi a pour objet de préciser les conditions dans lesquelles s’exerce l’activité commerciale  en République  du Cameroun.

Elle a également pour objet de favoriser le développement d’une concurrence saine et loyale entre les concurrents et de protéger le consommateur ».

L’article 4 consacre la liberté de l’activité commerciale : « Toute personne physique ou morale, camerounaise ou étrangère, est libre d’entreprendre une activité commerciale au Cameroun, sous réserve du respect des lois et règlements en vigueur » ([33]).  

        La protection des consommateurs et l’émulation d’une saine concurrence sont renforcées par les dispositions des articles 31 à 41 de la loi 90/031 du 10 août 1990.

        On relève que dans le cadre de la liberté de commerce, certains opérateurs économiques véreux développent des activités illicites ou sans agréments préalables comme exigé par la loi :

        Il en est ainsi des médicaments qui relèvent du monopole du pharmacien, des produits pétroliers, des aliments impropres à la consommation, des stupéfiants.

        La liberté du commerce électronique n’est pas sans présenter quelques risques. La loi n° 2010/021 du 21 décembre 2010 régissant le commerce électronique au Cameroun renvoie à l’article 219 du Code Pénal pour la sanction de l’imitation de la signature électronique et à l’article 349 du Code Pénal pour l’abus de faiblesse et de l’ignorance d’une tierce personne dans la signature des contrats électroniques.

        Au nom de la liberté, le commerce électronique croit pouvoir se passer des exigences fiscales. La mobilité de ce commerce ne saurait contourner les exigences douanières et fiscales. ([34])

        Par ailleurs les activités de blanchiment des capitaux ou de financement de terrorisme se pratiquent également sous-couvert la liberté de l’activité économique.

        Le règlement 01/CEMAC  du 11 avril 2016 prévoit des garde-fous contre ces activités commerciales illicites et prescrit aux agences nationales d’investigations financières (ANIF) de contrôler la liberté d’activité économique.

        Claude Albert COLLIARD disait à propos de la liberté économique que : « Si la liberté économique n’est pas réglementée, elle aboutirait à l’absence de liberté » ([35]).

Excellences, Mesdames et Messieurs.

        La liberté va de paire avec la démocratie. Caroline LACROIX a même écrit que : « La liberté est mariée à la république » ([36]). Il n’y a donc pas de démocratie sans libertés des citoyens. Un Etat de Droit se manifeste par les facilités que les citoyens ont d’exercer amplement leur liberté.

        Daniel SALLES précise néanmoins que : « La liberté n’est cependant pas absolue, elle est restreinte par de nombreuses limites » ([37]).

        Le cadre légal d’expression des libertés que nous avons présenté, fait apparaitre un effort considérable du législateur de faire du Cameroun une terre des libertés.

        La constitution révisée du 18 janvier 1996 renforce cette idée lorsque son préambule énonce fort opportunément que : « La liberté de culte et le libre exercice  de sa pratique  sont garantis.

 

La liberté de communication, la liberté d’expression, la liberté de presse, la liberté de réunion, la liberté d’association, la liberté syndicale sont garantis dans les conditions fixées par la loi » ([38]).

        Il y a donc un visage ambivalent de l’exercice des libertés. Autant on veille à la libre expression, autant on doit s’assurer que les citoyens déroulent leurs libertés dans le cadre prévu par la loi.

        Que révèle la réalité quotidienne ?

Aujourd’hui plus qu’hier, l’expression des libertés s’éloigne considérablement des garde-fous fixés par les lois en vigueur. Il y a des comportements manifestement illégaux ou de libertinage qui  prétendent tirer  leur source des libertés ([39]).

        La démesure a envahi le champ des libertés au Cameroun.

Pourtant Jean Paul Sartre a écrit sur la liberté que : « Etre libre, ce n’est pas pouvoir faire ce que l’on veut, mais c’est vouloir faire ce que l’on peut. »

 

Excellences, Mesdames et Messieurs.

        La République est régie par des lois et la Cour Suprême est garante de l’application des lois. Il nous a semblé opportun de tirer la sonnette d’alarme sur les fortes dérives constatées dans l’expression des libertés au Cameroun.

        Cela nous interpelle tous, si nous voulons donner à notre pays  son véritable visage d’Etat de Droit.

        En premier, le législateur doit nécessairement ajuster les lois pour les adapter à l’évolution de la société en perpétuelle mutation ; les dérapages prenant leurs sources dans l’utilisation de nouvelles technologies sont les plus nombreux et les plus dangereux.

        Notre Droit doit s’inspirer des techniques développées dans certains pays occidentaux pour élaborer de nouveaux textes et faciliter ainsi la tâche des juges. Le droit doit rattraper l’évolution des technologies.

        En attendant, la loi  2010/012 du 21 décembre 2010 relative à la cybersécurité et à la cybercriminalité est bien applicable et peut donner une réponse appropriée aux délinquants.

En deuxième lieu, nous devons nous rappeler en tant que citoyens que : « Nul n’est sensé ignoré la loi ».

Cette maxime juridique nous interpelle et nous invite à mieux nous approprier les textes régissant l’exercice des libertés dans notre pays. Et à chaque fois, on doit se demander avant d’agir, si on est dans le cadre légal ou en marge de la loi.

En troisième lieu, nous interpellons les gens de justice en général, et les Magistrats en particulier. Les Magistrats ont pour devoir de faire respecter la loi et le serment qu’ils ont prêté, précise qu’ils doivent agir « sans crainte, ni rancune, ni faveur » et « avec impartialité ».

    Il s’agit donc de réaffirmer par nos actes au quotidien qu’en matière de liberté, c’est la loi qui constitue la boussole et non le contraire.

 Et les institutions judiciaires ont pour finalité première de faire respecter les lois.

 Il faut protéger les libertés des citoyens.

Il faut davantage protéger les citoyens contre les dérives libertaires.

C’est donc à juste titre que le Président Paul Biya avait affirmé que :

        « La liberté a ses limites et ses contraintes, on ne peut pas faire n’importe quoi ou mener un pays à l’anarchie au nom de la liberté. Nous n’en avons pas le Droit » ([40]).

        On peut donc dire avec Montesquieu que : « La liberté comme toute vertu, a ses limites »

C’est pourquoi la démesure dans l’expression des libertés doit faire face à la fermeté de la loi, même s’il faut toujours une mesure dans le traitement de la démesure. C’est le rôle que le juge est appelé à jouer dans notre démocratie.

         La démocratie, c’est d’abord le respect de la loi et «  un peuple et un Etat ne sont forts que quand les lois sont fermes, appliquées avec rigueur et respectées par tous » ([41]).

Voltaire rappelait cette réalité de manière ironique en écrivant que : « Si les lois pouvaient parler elles se plaindraient des gens de justice » ([42])

        Il ne nous reste plus qu’à rappeler que même en matière de libertés, ce qui est écrit au fronton de la Cour Suprême demeure d’actualité: « Dura lex, Sed lex », « La loi est dure, mais c’est la loi ».

        Si on n’y prend garde, on risque de donner raison à LACORDAIRE qui parlant des dérives libertaires disait en son temps que : « C’est la liberté qui opprime et c’est la loi qui affranchit » ([43]). MONTESQUIEU a été plus explicite en martelant que : « La liberté est le droit de faire ce que les lois permettent. »

Merci de votre aimable attention.  

 

 

([1]) Dominique Brullat, libertés publiques et droits de la personne humaine ; Bayeux 2003, page 32.

([2]) Paul Biya, en guise d’introduction du recueil de textes Cameroun, Droits et libertés SOPECAM 1990 page 13.

 

([3]) Cf. Rapport de la commission Nationale des Droits de l’homme et des libertés 2017.

([4]) Les libertés politiques, libertés religieuses, libertés syndicales, libertés économiques.

([5]) Droits et libertés, Recueil de Nouveaux textes, SOPECAM, décembre 1990

([6]) KONTCHOU (K.A) avant-propos du recueil de textes, Droits et libertés op. cit. p.5

([7]) L’ensemble des textes sur les Droits et libertés et la constitution révisée du 18 janvier 1996 ont constitué des bases solides pour l’expression des libertés.

([8]) Le préambule de la constitution révisée du 18 janvier 1996 est particulièrement riche en garantie des droits et libertés.

([9]) Ces chartes sont ratifiées conformément aux dispositions de la constitution.

([10]) La Commission Nationale des Droits de l’Homme et Libertés ; cf. DIME LI NLEP (Paul), Mémoire de DEA, université Abomey calavi Benin, 2004. Intitulé, la garantie des droits fondamentaux au Cameroun.

 

([11])

  • Loi n° 90/052 du 19 décembre 1990 régissant la liberté de communication sociale.

  • Loi n° 90/053 du 19 décembre 1990 régissant la liberté d’association.

  • Loi n° 90/054 du 19 décembre 1990 régissant le maintien de l’ordre.

  • Loi n° 90/055 du 19 décembre 1990 fixant le régime des réunions et des manifestations publiques. Cf. recueil de nouveaux, op cit page 19 et suivants.

([12])  Les libertés politiques présentent toujours une certaine délicatesse.

([13])  Les associations et les syndicats sont des groupements qui ont un impact social incontestable.

([14]) La liberté de commerce est régie au Cameroun par la loi n° 90/031 du 19 décembre 1990.

([15]) Art 1er de la loi 90/056 du 19 décembre 1990 qui régit les partis politiques.

([16])  Droits et libertés, op cit page 57.

([17]) Les voies de recours de Droit commun sont applicables à cette ordonnance. Elle peut faire objet d’appel.

([18])Art 232 du Code Pénal punit les attroupements sur la voie publique, il s’agit de réunion d’au moins cinq personnes sur la voie publique.

([19]) La liberté de communication a été pratiquement révolutionnée par l’éclosion de nouvelles technologies de l’information.

([20]) Les infractions à la loi sont punies de fortes peines d’amendes et la diffamation et les injures par voie de presse, selon les peines du Code Pénal.

([21]) Les journalistes professionnels ont un minimum de déontologie. Ceux qui s’érigent en journalistes sur les réseaux sociaux n’obéissent à aucune déontologie.

([22]) Après la famille, les associations constituent au Cameroun, les groupements les plus importants sur le plan social.

([23]) Le but des associations ne semble pas toujours ce que la loi exige.

([24]) Le régime de l’autorisation dépend du Président de la République.

([25]) L’expression « rendre hommage à une divinité » n’est pas de nature à permettre un encadrement rigoureux de l’objet des associations religieuses.

([26]) Art. 31 de la loi 90/053

([27]) Il arrive souvent que les Ministres de culte ou Prophètes se muent en délinquants en col blanc.

([28]) Pape François, Exhortation apostolique sur l’appel à la sainteté dans le monde actuel. Artège, Paris, 2018.

([29]) Alphonse BALOA, l’expression collective des salariés, Mémoire de DEA université de Yaoundé II 2006.

 

([30]) Au Cameroun, les employeurs ou les employés sont libres d’adhérer aux syndicats de leur choix.

([31]) Certains syndicats ne respectent pas toujours les modalités d’exercice du Droit de grève qui leur est reconnu.

([32]) Les libertés économiques englobent une diversité d’activités.

([33])  La liberté de commerce consacré par la loi au Cameroun, est néanmoins subordonnée au respect de la loi et à la lutte contre les pratiques illicites. Cf. ANOUKAHA François,  Le Code Pénal du 12 juillet 2016 et la lutte contre la corruption au Cameroun. Yaoundé, les grandes éditions, juin 2017.

 

([34]) TANEFO SONTSA (Cassennelle L.) La fiscalité du commerce électronique au Cameroun. Mémoire de Master II UCAC Yaoundé 2018.

([35]) Claude Albert COLLIARD, libertés publiques, précis DALLOZ Paris 1982 page 48.

([36]) Lacroix (Caroline), protection des Droits et libertés tome I 

([37]) Daniel SALLES in la liberté d’expression, Canopé et Clemi.

([38]) D’après l’article 65 de la constitution, le préambule fait partie intégrante de la constitution.

([39]) Les libertés reconnues aux citoyens ne doivent en aucun cas entrainer les dérapages.

([40]) Paul Biya in Droits et libertés op. cit. Page 13

([41])  Idem P. 13

([42]) Voltaire in Les pensées philosophiques.

([43]) LARCORDAIRE, Conférence Notre Dame de Paris Tome III page 473.

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