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Monsieur le Président du Sénat
Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale
Monsieur le Président du Conseil Economique et Social
Monsieur le Premier Ministre, Chef du Gouvernement
Monsieur le Président du Conseil Constitutionnel
Excellence, Monsieur le Ministre d’Etat, Ministre de la Justice, garde des sceaux.
Excellences, Mesdames et Messieurs les Ministres,
Excellences, Messieurs les Ministres délégués et secrétaires d’Etat
Monsieur le Maire de la Ville de Yaoundé
Chers collègues Magistrats
Madame le Bâtonnier par Intérim de l’Ordre des Avocats
Madame la Présidente de la Chambre Nationale des Notaires
Monsieur le Président de la Chambre Nationale des Huissiers
Chers Maîtres
Mesdames et Messieurs en vos grades et titres respectifs.
L’audience de ce jour se tient dans un contexte particulier dominé par la pandémie du covid-19.
Dans le souci de respecter toutes les mesures prescrites à cet effet, nous avons réduit cette cérémonie à sa plus simple expression, avec très peu d’invités et beaucoup de sobriété.
Nous avons tenu à respecter les exigences de l’article 33 de la loi 2006/016 du 29 Décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour Suprême qui dispose que :
« (1) Au début de chaque année judiciaire et au plus tard le 28 Février, la Cour Suprême tient, sous la présidence du Premier Président, une audience solennelle de rentrée à laquelle assistent également en robe, les chefs des cours d’appel, des juridictions inférieures en matière de contentieux administratif et des juridictions inférieures des comptes.
(2) le Président de la République peut, sur sa demande, assister à cette cérémonie et le cas échéant, y faire une communication ».
Excellences, Mesdames et Messieurs
La haute juridiction est flattée de vous recevoir en son sein et vous remercie de rehausser par vos hautes présences respectives l’éclat de la présente cérémonie.
En dépit des circonstances particulières, nous avons tenu à sacrifier à un rituel, celui de partager avec vous une réflexion qui est axée sur un constat de plus en plus inquiétant :
« La difficile exécution des décisions de Justice au Cameroun »
L’activité judiciaire a généralement trois phases : le déroulement du procès, le dénouement du procès et l’exécution de la décision.
C’est incontestablement la dernière phase qui est la plus importante ([1]).
Tout d’abord pour les plaideurs intéressés uniquement par le résultat effectif de leurs procédures.
Ensuite pour le crédit de la Justice qui serait édulcoré s’il y a défaillance dans l’exécution des décisions rendues.
Pascal disait déjà en son temps que : « La force sans la Justice est tyrannique ; la Justice sans la force est impuissante. Il faut donc que ce qui est juste soit fort et ce qui est fort soit juste ». ([2])
En réalité un procès n’est véritablement terminé qu’après l'exécution de la décision. PLATON disait « qu’il est juste de donner à chaque homme son dû»
Dans le but d’assurer une exécution rapide et effective des décisions de justice.([3]), le législateur camerounais tout comme le législateur OHADA, ont prévu un arsenal de mesures pour vaincre la résistance des débiteurs et des perdants. ([4]) C’est à raison que Marcel Schwob a écrit que : « Toute justice qui dure est injustice ».
Excellences, Mesdames et Messieurs.
Dans la stratégie d’exécution des décisions de justice, le législateur camerounais a élaboré une panoplie de textes en la matière.
En premier lieu, la Constitution révisée du 18 Janvier 1996 énonce dans son préambule que : « La loi assure à tous les hommes le droit de se faire rendre justice ».([5])
Cela suppose le libre accès à la justice, un procès équitable et surtout l’exécution dans les meilleurs délais de la décision intervenue.
En deuxième lieu, la loi 2006/015 du 29 Décembre 2006 portant organisation judiciaire au Cameroun dispose en son article 11 que :
« Les expéditions des arrêts, jugements, mandats de Justice ainsi que les grosses et expéditions des contrats et tous actes susceptibles d’exécution forcée, sont revêtus de la formule exécutoire ainsi introduite.
" République du Cameroun"
" Au nom du peuple camerounais" et terminée par la mention suivante ;
"En conséquence, le Président de la République mande et ordonne à tous les huissiers et agents d’exécution sur ce requis, de mettre le présent arrêt (ou jugement) à exécution, aux Procureurs généraux, aux Procureurs de la République, d’y tenir la main, à tous Commandants et Officiers de la force publique, de prêter main forte, lorsqu’ils seront légalement requis ».
Lorsqu’elle est apposée sur une décision de justice, la formule exécutoire est un symbole fort, par lequel, le Président de la République, au nom du peuple camerounais, prescrit aux différentes autorités (Huissiers, Procureurs Généraux, Procureurs de la République et Officiers de Police judiciaire) de veiller à l’exécution des décisions de justice définitives, exécutoires ou assorties de l’exécution provisoire.
En troisième lieu, le décret n°79/448 du 5 Novembre 1979 portant règlementation des fonctions et fixant le statut des Huissiers modifié par les décrets n°85/238 du 23 Février 1985 et 98/170 du 27 Août 1998 précise en son article 1er que : « Les Huissiers sont des Officiers Ministériels qui ont qualité pour :
-
b) exécuter les décisions de justice et tous actes susceptibles d’exécution forcée».
l’article 2 du même décret dispose que : « Pour l’accomplissement de leur mission, les huissiers peuvent se faire assister par un Officier de Police judiciaire sur autorisation du Parquet »([6])
si l’opposition à l’exécution est accompagnée de violences ou de menaces de violences graves, les huissiers peuvent solliciter l’assistance de la force publique et la demande est adressée à l’autorité administrative et au Procureur de la République compétents.([7])
En quatrième lieu, la loi 92/008 du 14 Août 1992 fixant certaines dispositions relatives à l’exécution des décisions de justice, modifiée par la loi n°097/018 du 7 Août 1997. Ce texte définit les contours de l’exécution provisoire, ainsi que les défenses et le sursis à exécution.([8])
En cinquième lieu, la loi n°2007/001 du 19 Avril 2007 instituant le juge du contentieux de l’exécution et fixant les conditions de l’exécution au Cameroun des décisions judiciaires et actes publics étrangers ainsi que les sentences arbitrales étrangères.([9])
En sixième lieu, la loi 2005/007 du 27 juillet 2005, entrée en vigueur le 1er Janvier 2007 portant Code de Procédure Pénale, consacre son livre V à l’exécution des décisions pénales. Elle définit le régime de l’incarcération, les modalités d’exécution des condamnations pécuniaires et de la contrainte par corps (article 545 et suivants du Code de Procédure Pénale).
A cela il faut ajouter les dispositions du Code Pénal de 2016 qui précisent les modalités de l’exécution de la peine de mort (article 22 et 23 du Code Pénal) et la pénalisation du refus d’exécuter une décision de justice définitive (181-1).
On peut également citer la loi 2003/005 du 21 avril 2003 qui fixe les attributions, l’organisation et le fonctionnement de la Chambre des Comptes de la Cour Suprême.
Cette énumération n’est pas exhaustive ; on se rend compte que la multitude des textes révèlent la préoccupation du législateur camerounais de voir les décisions de justice exécutées.
C’est un souci partagé avec le législateur OHADA.
Martin Du Gard a vu juste en martelant « qu’il n’y a pas d’ordre véritable sans la justice. »
Excellences, Mesdames et Messieurs.
Dans la stratégie d’une exécution efficiente des décisions de justice, le législateur OHADA a envisagé de nombreuses mesures.
L’acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution du 10 Avril 1998, entré en vigueur le 10 Juillet 1998 ([10]) dispose que :
« A défaut d’exécution volontaire, tout créancier peut quelque soit la nature de la créance, dans les conditions prévues par le présent acte uniforme, contraindre son débiteur défaillant à exécuter ses obligations à son égard ou pratiquer une mesure conservatoire pour assurer la sauvegarde de ses droits. Sauf s’il s’agit d’une créance hypothécaire ou privilégiée, l’exécution est poursuivie en premier lieu sur les biens meubles et, en cas d’insuffisance de ceux-ci, sur les immeubles »([11]).
Cet acte uniforme prévoit des procédures légales permettant à un créancier impayé, soit de pratiquer une saisie-vente, soit de pratiquer une saisie attribution ou même une saisie immobilière. Il distingue le recouvrement par les créanciers privilégiés ou hypothécaires des créanciers chirographaires.
Toutes ces saisies ont à la base un titre exécutoire dont l’exécution est sollicitée.
L’article 29 de cet acte uniforme dispose que : « L’Etat est tenu de prêter son concours à l’exécution des décisions et des autres titres exécutoires.
La formule exécutoire vaut réquisition directe de la force publique »
Ce texte communautaire doit être combiné avec l’article2 du décret 79/448 du 5 novembre 1979 sur les modalités pratiques.
Excellences, Mesdames et Messieurs.
Au regard de tous ces instruments juridiques d’origine interne et communautaire, on pouvait s’imaginer que leur mise en œuvre devait déboucher sur une exécution aisée des décisions de justice.
Tel n’est pas le cas dans notre pays. Un auteur relève de manière pertinente à ce sujet que :
« S’il est difficile de disposer des données statistiques pouvant nous permettre d’avoir connaissance du taux de réalisation de l’exécution des décisions de justice, il est indéniable que de nombreuses décisions de justice restent « lettres mortes » c’est-à-dire non suivies d’effets »([12])
Cette situation est créée par l’existence de nombreuses entraves tant juridiques que de fait à l’exécution des décisions de justice.
Pour les obstacles juridiques, il y a les défenses à exécution, le sursis à exécution, toutes mesures qui suspendent ou retardent l’exécution jusqu’à l’intervention de la décision au fond opposant les parties ; le certificat de dépôt de la requête est notifié au gagnant pour bloquer l’exécution, même entamée.([13])
Les arrêts des Cours d’appel et les jugements des Tribunaux administratifs rendus en dernier ressort, sont des décisions non définitives, mais exécutoires et peuvent être paralysées par les mêmes procédés.([14])
Dans la même logique, les différentes saisies pratiquées dans le cadre de l’exécution des décisions ou titres exécutoires en matière OHADA, peuvent faire l’objet de contestation devant le juge de contentieux de l’exécution ou pour les saisies immobilières devant le Tribunal de Grande Instance Compétent.([15])
L’exécution est suspendue jusqu’à la fin des contestations. Et les décisions vidant le contentieux peuvent légalement faire l’objet des voies de recours.
Bien souvent, l’exécution forcée est retardée par la nécessité d’observer strictement les mesures prévues par le législateur pour protéger le débiteur. On doit exécuter les décisions, mais dans les formes régulières ([16]). On a même pensé à tort que l’acte uniforme sur les procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution consacrait un "petit noël" des débiteurs.([17])
Dans certains cas, l’exécution des décisions de justice peut être paralysée par l’intervention du Ministère public alors que toutes les conditions légales de l’exécution ont été observées.([18])
En principe dans la formule exécutoire définie par l’article 11 de la loi 2006/015 du 29 Décembre 2006, le Ministère public est appelé à tenir la main pour assurer l’exécution des décisions de justice en matière tant répressive que non répressive([19]). Il veille à l’application des règlements et des décisions de justice (article 29 de la loi 2006/015 du 29 Décembre 2006 susvisée).
Toutefois, le Ministère public peut prendre des mesures de temporisation jugées opportunes pour suspendre ou bloquer l’exécution d’une décision de justice, lorsqu’il y a nécessité de préserver la paix publique, de protéger l’ordre public ordinaire ou même économique ([20]).Deux affaires célèbres sont souvent citées à titre d’exemples :
-
Affaire Couiteas ; C.E 30 Novembre 1923 ; le conseil d’Etat a reconnu que les justiciables sont en droit de compter sur l’Etat pour faire exécuter leurs jugements, Mais que l’Etat peut légalement refuser ce concours s’il estime qu’il y a danger pour l’ordre et la sécurité.
-
Affaire SACIA C/ SOAEM et SCCE au Cameroun. Condamnées en 1972 à payer 200 000 000 de francs à la SACIA, les sociétés défenderesses ont menacé de mettre dans la rue un millier d’employés camerounais. c’est pour éviter ce scandale que l’exécution de la décision a été paralysée en dépit du fait que les arrêts de la Cour d’Appel sont exécutoires.
Le Ministère Public peut également bloquer l’exécution pour faire respecter l’immunité d’exécution qui résulte d’un accord de siège avec les organisations internationales ou même d’un texte de loi interne([21]).
Dans toutes les hypothèses susvisées, l’exécution des décisions de justice est suspendue ou paralysée par des arguments juridiques prévus par des textes de loi.
Excellences, Mesdames et messieurs.
Il y a dans notre pays, et cela est regrettable, des méthodes inacceptables pour bloquer l’exécution des décisions de justice.
On peut citer en matière de défenses à exécution ou de sursis à exécution, la multiplication de nouvelles requêtes après une ordonnance de rejet de la requête du Président d’une Cour d’Appel ou du Premier Président de la Cour Suprême, avec pour finalité d’obtenir d’autres certificats de dépôt pour bloquer l’exécution.
L’informatisation des Cours d’Appel et de la Cour Suprême permet désormais de traquer ces pratiques malsaines et de mauvais goût. De telles pratiques n’ont pas de bases légales.
On peut souligner les énormes difficultés que les Huissiers de justice éprouvent dans l’accomplissement de leur mission. En matière d’expulsion, de déguerpissement, de saisies ou même de simples significations de commandement.
Les personnes condamnées n’hésitent pas à constituer une véritable rébellion contre l’Huissier de Justice et parfois contre la force publique réquisitionnée.
En matière de saisie-attribution, les tiers-saisis, généralement les institutions financières, refusent sans raison de libérer les causes de la saisie, alors que le certificat de fin de contestation a été notifié. Parfois le créancier est obligé de poursuivre personnellement les tiers-saisis.
En matière pénale, l’entrée en vigueur du code de procédure pénale le 1er janvier 2007 a suscité beaucoup d’espoir pour l’exécution des condamnations pécuniaires c’est-à-dire les amendes et frais de justice.
Il faut l’avouer les dispositions des articles 545 et suivants ([22]) du Code de Procédure Pénale ont été appliquées avec rigueur et efficacité les premières années de mise en œuvre du Code de Procédure Pénale. Depuis quelques années, il y a de nombreuses entraves à l’exécution des contraintes par corps, tant au niveau des juridictions qu’à celui des Officiers de Police Judiciaire. L’inflation des recherches infructueuses au sujet des condamnés, témoigne de la timidité des paiements ou des incarcérations ([23]). La non-exécution des contraintes par corps semble s’ériger en principe et l’exécution en exception.
En pratique, il est de plus en plus difficile d’assister à une exécution immédiate de la contrainte par corps.
En matière de détournement des biens publics, la certitude de l’exécution des peines privatives de liberté, ne va pas de pair avec le recouvrement des condamnations pécuniaires([24]). Les confiscations des biens et le blocage des comptes ne débouchent pas toujours sur le recouvrement des condamnations pécuniaires décidées au profit de l’Etat. L’exécution semble toujours inachevée dans ce domaine.
Au niveau de la Cour Suprême, le défaut de dépôt de mémoire ampliatif et le dépôt tardif sont sanctionnés par la déchéance du demandeur au pourvoi et la condamnation de son conseil à une amende civile de 50.000FCFA conformément aux dispositions de l’article 55 alinéa 2 de la loi 2006/016 du 29 Décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour Suprême([25]).
Bien qu’étant des professionnels du Droit, les avocats condamnés ne s’exécutent pas spontanément. Pourtant cette amende sanctionne sinon la faute, du moins une négligence avérée de l’Avocat et devait le pousser à être plus responsable vis-à-vis de ses clients.
La haute juridiction doit travailler de concert avec le Barreau et l’administration fiscale pour envisager les techniques de recouvrement paisible de ces amendes civiles. Il faut envisager les voies et moyens pour tourner la page des impayés.
En matière de comptes, plusieurs centaines d’arrêts définitifs ont été transmis aux administrations concernées par le Ministère Public pour exécution. Mais très peu de décisions ont été effectivement exécutées.
A la vérité les arrêts provisoires provoquent des réactions, mais les arrêts définitifs n’aboutissent pas au recouvrement escompté.
En matière foncière, l’exécution des ordonnances, des jugements, des arrêts des cours d’Appel et même de la plus haute juridiction se heurtent aux lettres circulaires du Ministre des domaines, du cadastre et des affaires foncières, qui prescrit à tous ses collaborateurs, d’attendre son accord préalable avant l’exécution de toute décision de justice.
La lettre circulaire n°0219-L du 10 Août 2004 relative à l’exécution des décisions de justice est ainsi libellée : « suite aux pratiques qui consistent à exécuter directement les décisions de justice au niveau des services provinciaux des domaines, je vous rappelle que toute décision de justice doit au préalable avoir l’accord du Ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat avant son exécution ».
Plus récemment la lettre circulaire n°007/CAB/ du 02 mars 2020 du Ministre des Domaines, du Cadastre et des Affaires Foncières, plus nuancée, donne les mêmes instructions lorsqu’elle énonce que : « En vue de préserver les menaces de perturbation de l’ordre public, dans le cadre de l’exécution des décisions et prescriptions juridictionnelles en matière foncière et domaniale, il m’a paru indiqué de prescrire de transmettre systématiquement au Ministre pour vérifications préalables sur l’authenticité des actes y afférents et sur leur caractère définitif et immédiatement exécutoire, les décisions de justice dont vous êtes saisis pour exécution et portant sur les affaires énumérés ci-après »
On peut comprendre une certaine prudence de la part de ces circulaires. On peut y déceler la volonté d’avoir un regard sur l’exécution des décisions et éviter toute exécution prématurée et préjudiciable au perdant. Mais il faut le dire avec emphase, les prénotations judiciaires, les inscriptions provisoires d’hypothèques, les mains-levées d’hypothèque, les inscriptions d’adjudication après la réalisation d’hypothèque, l’annulation d’un titre foncier, la suspension d’un titre foncier, constituent des mesures d’exécution immédiate et tout retard peut entrainer des conséquences irréparables.
En outre, lorsque les décisions de justice sont définitives ou exécutoires, aucune autre institution ne peut et ne doit s’ériger en un degré de juridiction([26]). La constitution révisée du 18 Janvier 1996 énonce en son article 38 que : « La Cour Suprême est la plus haute juridiction de l’Etat en matière judiciaire, administrative et de jugement des comptes ». Et la formule exécutoire apposée sur ces décisions n’émet pas de réserves. LOUIS XIV dans ses mémoires disait il y a longtemps « Il faut de la force assurément pour tenir toujours la balance de la justice droite entre tant de gens qui font leurs efforts pour la faire pencher de leur côté ».Et Maitre François Andrieux renchérissait plus récemment que « l’exécution des décisions de justice par les huissiers relève de la continuité de l’action de la puissance publique ».
Excellences, Mesdames et Messieurs.
Les entraves à l’exécution des décisions de justice ont poussé le législateur pénal camerounais à maintenir certaines qualifications et à définir des nouvelles infractions dans la loi 2016/7 du 12 Juillet 2016 portant Code Pénal.
L’article 181 du Code Pénal intutilé, insolvabilité organisé dispose que : « Est puni d’un emprisonnement de un (1) à cinq (5) ans, celui qui, après décision de justice, même non définitive, portant condamnation pécuniaire, organise son insolvabilité ».
L’article 181-1 intutilé refus d’exécuter une décision de justice devenue définitive dispose que : « (1) Est puni d’un emprisonnement de un (1) à cinq (5) ans, celui qui refuse d’exécuter une décision de justice devenue définitive.
(2) Est puni des peines prévues à l’alinéa 1 ci-dessus, celui qui fait entrave à l’exécution d’une décision de justice devenue définitive, sans se référer au juge de l’exécution.
Les poursuites pénales ne font pas obstacles aux poursuites disciplinaires lorsque le contrevenant est un fonctionnaire au sens de l’article 131 du présent Code.
(3) La peine est une amende de deux cent mille (200.000) à dix millions de francs lorsque l’auteur de l’infraction est une personne morale visée à l’article 74-1 du présent Code ».
Ces dispositions du Code Pénal prévoient une répression sévère pour discipliner ceux qui refusent ou entravent l’exécution des décisions devenues définitives.
Ils précisent que la seule voie prévue pour contester l’exécution, c’est la saisine du Juge de l’exécution. Toute autre méthode ou moyen utilisé constitue l’infraction.
Ce texte est applicable aux fonctionnaires qui obstruent l’exécution et les poursuites pénales engagées contre eux peuvent être accompagnées de celles disciplinaires.
Par ailleurs l’auteur de l’infraction peut être une personne physique ou une personne morale.
On le voit bien, le législateur dans le souci d’aplanir les entraves à l’exécution des décisions de justice, a envisagé d’emprunter au Droit Pénal pour vaincre la résistance des débiteurs et des perdants récalcitrants, leurs coauteurs ou complices, ainsi que de tous les fonctionnaires qui abusent de leur pouvoir pour empêcher l’exécution des décisions de justice.
Cependant peut-on penser que ce texte est applicable dans l’exécution des décisions en matière OHADA ?
L’article 10 du traité OHADA nous donne implicitement une réponse négative : « Les actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les Etats-Parties, nonobstant toute disposition contraire de Droit interne, antérieure ou postérieure ». ([27])
Ces dispositions postérieures à l’acte uniforme semblent contraires à la philosophie du législateur OHADA qui n’a jamais envisagé l’utilisation des peines d’emprisonnement pour asseoir l’exécution des titres exécutoires. Il met plus l’accent sur les garanties et les sûretés.
Excellences, Mesdames et Messieurs.
De nombreux obstacles bloquent ou retardent l’exécution des décisions de justice et discréditent ainsi l’image des institutions judiciaires au Cameroun.
Le moment est venu de mettre un terme à ce laisser-aller par le choix des orientations nouvelles en la matière.
Il faut nécessairement restaurer les Huissiers dans leur rôle d’Officiers Ministériels chargés de l’exécution des décisions de justice. C’est une tâche à la fois difficile, mais exaltante qui ne peut être accomplie qu’avec l’encadrement du ministère public.
Il est judicieux de sensibiliser le Ministère public sur le besoin d’accompagner les Huissiers dans l’exécution des décisions de justice, même si parfois, il peut prendre des mesures de temporisation.
Il faut en revanche une prise de conscience et une auto-critique des Huissiers de justice. Est-il encore besoin de relever que certains Huissiers agissent et travaillent en marge de la loi. A titre d’exemple, ils procèdent à l’exécution non pas des décisions de justice, mais des extraits de plumitif. C’est un manquement grave aux devoirs de leur fonction. Certains excellent dans les significations à « poteau ».Mais la majorité travaille conformément aux lois.
Il est utile que le contenu de la formule exécutoire soit connu de tous et cela peut anéantir toute velléité de résistance à l’exécution des décisions de justice.
On doit reprendre une application rigoureuse des dispositions du Code de Procédure Pénale sur l’exécution des condamnations pénales en général et sur celles pécuniaires en particulier.
Le contentieux de l’exécution ne doit pas s’enliser, au risque de paralyser les titres exécutoires.
On doit attirer l’attention des tiers-saisis sur la nécessité de leur neutralité dans les procédures de saisie-attribution ou de saisie conservatoire des créances.
On doit souhaiter une application effective par les administrations responsables, des arrêts définitifs de la Chambre des Comptes de la Cour Suprême. Le Trésor Public doit être renfloué par l’exécution de ces arrêts définitifs
Il est donc impérieux que tous les acteurs de la chaîne de l’exécution (Magistrats, Huissiers, Avocats, Autorités Administratives, Personnels de l’Administration Pénitentiaire, Officiers de Police Judicaire) instaurent un nouveau climat d’exécution des décisions de justice au Cameroun.
C’est de la sorte et de la sorte seulement que notre justice demeurera forte et consolidera notre Etat de droit. L’exécution effective des décisions de justice est désormais un indicateur de l’Etat de droit. Voilà pourquoi Mme Le Professeur CLAUDE FOURNIER affirme :
« Sans exécution, la justice rendue perd à priori de son sens et ne remplit plus son office. C’est la réalité de l’Etat de droit qui se trouve compromise ».
Il faut sauvegarder et même renforcer notre Etat de droit. C’est pour cela que l’exécution des décisions de justice doit devenir un impératif.([28])
([1]) Calbairac, l’exécution des décisions de Justice Dalloz 1947 chr 85
Du Rusquec, Réflexions sur l’exécution des décisions de Justice Gaz-pal 1982 Doct.355
([2]) Pascal, les pensées, classique
([3]) Wandah Tchamba Armel Edith, La force exécutoire des décisions de justice en matières non répressives dans l’espace OHADA. Thèse de doctorat en droit privée, université de Douala 2020.
([4]) Le retard dans l’exécution et l’inexécution des décisions de justice constituent désormais une atteinte aux Droits de l’homme ; le Droit à l’exécution est désormais considéré comme un Droit de l’homme.
L’inexécution d’une décision de Justice définitive est assimilée au déni de Justice.
VAN CAMPERNOLLE, le Droit à l’exécution. Une nouvelle garantie du droit équitable.
([5]) Confère la loi n°096/06 du 18 Janvier 1996 modifiée et complétée par la loi n°2008/01 du 14 Avril 2008. Edition spéciale du secrétariat général de l’Assemblée Nationale du Cameroun (Novembre 2018)
([6]) DJOU ATANGANA, La profession d’huissier au Cameroun, Mémoire de maîtrise, Université de Yaoundé 1986
([7]) La demande d’assistance d’un Officier de Police judiciaire qui constate souvent la rébellion est distincte de la demande d’assistance de la force publique.
([8]) TJOUEN Alexandre Dieudonné, l’exécution provisoire en matière non répressive en Afrique : cas du Cameroun. R-J-I-C 1987
([9]) La loi 2007/01 du 19 Avril 2007 qui institue le juge du contentieux fait l’objet de nombreuses critiques sur la pluralité des juges du contentieux et sur l’absence de recours contre les ordonnances du premier Président ou du Magistrat qu’il désigne en la matière.
La CCJA a cru y voir une violation du principe du double degré de juridiction.
CCJA Arrêt n°109/2014 du 04 novembre 2014 ; Arrêt du 11 janvier 2016
([10]) Journal officiel de l’OHADA du 1er Juin 1998 page 1
([11]) WAMBO (Jéremie), La prévention et de recouvrement des impayés en Droit OHADA. Editions Jerberas Septembre 2018.
([12]) WANDAH TCHAMBA Armel, Thèse précité, page 1
([13]) Sur les défenses et le sursis à exécution confère loi 92/008 du 14 août 1992 modifiée en 1977.
([14]) Les jugements des Tribunaux Administratifs rendues en dernier ressort peuvent faire
l’objet de sursis à exécution.
([15]) ANOUKAHA François, Le juge du contentieux de l’exécution provisoire : le législateur camerounais persiste et signe, l’erreur. juridis périodique n°70 page 33.
([16]) TAMEGHE Sylvain, La protection des débiteurs dans les procédures individuelles d’exécution. L’harmattan 2005
([17]) Les débiteurs ont semblé être plus protégés qu’avant.
([18]) R.S. Le Ministère Public en matière civile. Le rôle du parquet dans l’exécution des décisions de Justice.
([19]) Article 29 de la loi de 2006/015 du 29 Décembre 2006 portant organisation judiciaire.
([20]) Célèbre affaire Couitéas en France 1923, C.E 30 Novembre 1923 3eme partie P.57.
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Affaire SACIA C/SOAM et SCCE au Cameroun ,1972.
([21]) Article 30 de l’AUVE : « L’exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas applicables aux personnes qui bénéficient d’une immunité d’exécution ».
([22]) Si toutes les autorités conjuguent leurs efforts, les condamnations pécuniaires peuvent être effectivement exécutées.
([23]) Dans les juridictions, lorsque le prévenu est déclaré coupable et l’affaire mise en délibéré pour la peine il ne se présente plus et se soustrait à la contrainte par corps.
([24]) Le recouvrement des condamnations pécuniaires au profit de l’Etat semble peu effectif.
([25]) Article 55 alinéa 2 : « Lors du prononcé de l’arrêt de déchéance, la Cour Suprême condamne l’Avocat désigné ou constitué à une amende civile de 50.000 FCFA. Cette amende est reconnue suivant la procédure prévue par le Code général des impôts ».
([26]) les arrêts de la Cour Suprême, tous comme les arrêts de Cours d’appel et les jugements et ordonnances exécutoires des Tribunaux s’imposent à tous.
([27]) KENFACK DOUAJNI GASTON , L’abandon de souveraineté dans le traité OHADA, Penant 1999 p.125
KODO JIMMY ,Aperçu de l’application des actes uniformes OHADA ,RDUA2010 N° 4 P.9
([28]) CLAUDE FOURNIER, XIIème journée d’étude sur l’exécution des décisions de justice .Université de PAU