ALLOCUTION DU PREMIER PRESIDENT DE LA COUR SUPREME - AUDIENCE SOLENNELLE DE RENTREE DE LA COUR SUPREME DU 22 FEVRIER 2020

6 octobre 2024

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Monsieur le Président du SENAT,

Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale,

Monsieur le Premier Ministre, Chef du Gouvernement,

Monsieur le Président du Conseil Economique et Social,

Monsieur le Président du Conseil Constitutionnel,

Messieurs les Ministres d’Etat,

Mesdames et Messieurs les Ministres,

Mesdames et Messieurs les Ministres délégués et Secrétaires d’Etat,

Messieurs les Officiers Généraux,

Monsieur le Directeur Général de l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature,

Monsieur le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats au Barreau du Cameroun,

Monsieur le Président de la Chambre Nationale des Huissiers,

Madame la Présidente de la Chambre Nationale des Notaires,

Monsieur le Délégué du Gouvernement auprès de la Communauté Urbaine de Yaoundé,

Autorités Traditionnelles et Religieuses,

Chers Collègues Magistrats,

Chers Maîtres,

Mesdames et Messieurs, en vos grades et titres respectifs.

 

La Cour Suprême est particulièrement flattée par vos hautes présences respectives dans cette auguste salle et vous souhaite la bienvenue en ces lieux.

L’audience solennelle de ce jour tire sa source de l’article 33 de la loi 2006/016 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour Suprême qui dispose en son alinéa 1 que : « Au début de chaque année judiciaire et au plus tard le 28 février, la Cour Suprême tient, sous la présidence du Premier Président, une audience solennelle de rentrée à laquelle assistent également en robe, les Chefs de Cours d’appels, des Juridictions inférieures en matière de contentieux administratif et des Juridictions inférieures des comptes ».

Par la présente cérémonie, la Cour Suprême a entendu se conformer à cette disposition légale et observer ce qui est devenu une tradition pour les Hautes Juridictions Contemporaines.

À l’occasion de cette cérémonie et pour sacrifier au rituel, nous avons choisi de partager avec vous, une réflexion qui touche à l’actualité économique de notre pays et surtout aux rapports entre la justice, l’activité normative pénale et le climat des affaires au Cameroun. On va donc s’interroger sur une thématique, un peu technique il faut l’avouer, intitulée :

          « LES ENJEUX DE LA PROTECTION PENALE DES INSTRUMENTS DE PAIEMENT ET DU CREDIT SUR LE CLIMAT DES AFFAIRES AU CAMEROUN »

 

 

Excellences, Mesdames et Messieurs,

          Le Cameroun ne peut véritablement se développer que si notre économie prend son envol. L’éclosion des activités économiques est un prélude au développement.

          Depuis quelques années, les différents rapports «DOING BUSINESS»([1]) et les multiples foras([2]) et colloques sur les investissements au Cameroun, ont tendance à épingler la justice et le retard de l’activité normative face aux exigences économiques.

          Le législateur CEMAC et le législateur pénal camerounais ont choisi la protection pénale des instruments de paiement et du crédit comme des mesures fortes pour assainir le climat des affaires.

          Initialement redouté par le monde des affaires, le Droit pénal a désormais une place importante dans la stratégie d’amélioration de la vie des affaires.([3])

          Pour illustrer notre propos, nous allons revisiter le règlement CEMAC n°02/03/CEMAC/UMAC/CM signé à Yaoundé le 04 avril 2003([4]) et la loi camerounaise n°2019/021 du 24 décembre 2019.([5])

          Le premier texte est entré en vigueur le 1er juillet 2004, il y a plus de 15 ans et le second n’a que quelques mois d’âge. Pourtant les deux législations ont de nombreuses similitudes. Elles ont en commun la gestion des relations entre les institutions bancaires et financières et leurs clients.

          Le règlement CEMAC a incriminé de nombreux comportements en matière des instruments de paiement. Les techniques de paiement constituent des facteurs majeurs de sécurisation des transactions économiques.

          A l’origine cramponées sur la monnaie fiduciaire pour les paiements instantanés (billet de banque, pièces de monnaie métalliques), les économies des pays de l’Afrique Centrale ont progressivement glissé vers la monnaie scripturale (chèques, lettres de change, billet à ordre) pour un paiement différé.([6])

          Il n’y a pas longtemps, on a vu naitre une autre forme de paiement instantané (la carte de paiement). Il s’agit en réalité, d’une forme de monnaie électronique.

          Le législateur CEMAC s’est rendu compte qu’il était urgent, sans toujours attendre la réaction des législateurs des pays membres, d’engager une réforme substantielle consacrant la protection pénale des techniques de paiement.([7])

          Le règlement n°02/03/CEMAC/UMAC/CM signé à Yaoundé le 04 avril 2003 et entré en vigueur le 01er juillet 2004 relatif aux systèmes, moyens et incident de paiement a :

  • Révolutionné le Droit pénal du chèque,

  • Encadré de manière rigoureuse la fabrication et l’utilisation des cartes électroniques,

  • Défini les atteintes punissables aux systèmes de traitement automatisés de données dans un système de paiement.

Ce règlement définit les moyens de paiement comme tous les instruments de paiement qui permettent à toute personne de transférer des fonds quelque soit le support ou le procédé technique utilisé.([8])

     Ainsi constituent les moyens de paiement le chèque, la lettre de change, le billet à ordre, le virement, le prélèvement électronique, la carte de paiement, la monnaie électronique.

     Pour donner plus de fiabilité à ces techniques de paiement, le législateur CEMAC a érigé en infractions certains comportements qui étaient de nature à les fragiliser.

     De manière générale, le législateur CEMAC a limité le choix du moyen de paiement des usagers.([9])

     Ainsi dans les localités où il y a au moins un établissement de crédit ou un service de chèque postaux ou un établissement agrée qui émet des moyens de paiement, tout paiement qui excède la somme de 500.000 FCFA doit être fait par chèque, par virement interbancaire, ou postal ou par carte de paiement ou par tout autre moyen de paiement inscrivant le montant réglé au débit d’un compte tenu au nom du payeur dans un établissement assujetti.

     Ce montant est porté à 1.000.000 Frs lorsque le paiement est fait entre les particuliers non commerçants.

     En terme de sanctions, l’article 5 du règlement CEMAC ([10]) prévoit une amende de 5% du montant des sommes indûment réglées en numéraires.

En matière de chèque, le législateur CEMAC est allé au-delà de ce que prévoyait les législations internes. ([11])

Ainsi à côté des infractions classiques d’émission de chèque sans provision, il a prévu des infractions imputables au tiré (déclaration d’une provision inexacte([12]) ) et même au bénéficiaire du chèque (acceptation d’un chèque de garantie ([13]) ).

     Au niveau des sanctions applicables, l’innovation majeure est relative à la peine d’amende prévue pour le tiré (banque) mais surtout les peines complémentaires en sus des peines principales.

     En effet, l’article 197 du règlement CEMAC a institué la procédure d’interdiction bancaire à l’encontre du tireur d’un chèque sans provision et dispose à ce sujet que :

« Le tiré qui refuse le paiement d’un chèque pour défaut de provision suffisante doit enjoindre au titulaire du compte, par lettre recommandée avec accusé de réception ou tout autre moyen laissant trace, de restituer à tous les établissements dont il est client les formules de chèque, ainsi que les cartes de paiement en sa possession et en celles de ses mandataires.

Il doit lui enjoindre également de ne plus émettre de chèques et de ne plus utiliser les cartes de paiement pendant une période de cinq ans à compter du jour de l’enregistrement de l’incident ».

          Le tiré (banque) informe le tireur qu’il peut se rattraper en réglant le montant du chèque ou en payant une pénalité libératoire. ([14]) L’interdit bancaire peut être réhabilité. Ce dernier peut même former des contestations devant le Tribunal contre son interdiction.

          Si le tiré n’engage pas la procédure d’interdiction bancaire, le juge peut suppléer à la carence en prononçant comme peine complémentaire, l’interdiction judiciaire.

          L’article 206 du règlement CEMAC dispose à ce sujet que :

« L’interdiction judiciaire d’émettre des chèques, autres que ceux visés à l’article 196 alinéa 2, ou de se faire délivrer une carte de paiement, peut être prononcée, à titre accessoire ou principal, par toute juridiction répressive appelée à sanctionner une infraction quelconque en matière de chèques, de cartes de paiement ».

          L’interdiction bancaire ou l’interdiction judiciaire doivent être portées à l’attention de la Banque Centrale (BEAC) et les auteurs des chèques sans provision inscrits au fichier des clients à risque créé dans chaque Etat Partie au sens de l’article 210 du règlement CEMAC.

          S’agissant des infractions en matière de cartes électroniques, il convient de souligner d’entrée de jeu, que le législateur CEMAC distingue trois types de cartes :

  • La carte de paiement qui peut être définie comme toute carte émise par un établissement assujetti et permettant à son titulaire de transférer des fonds.

La carte de paiement donne lieu au débit immédiat du compte du titulaire. Elle peut donner lieu à un débit différé ou à toute autre forme de crédit en vertu d’une stipulation expresse du contrat conclu entre l’émetteur et le titulaire de la carte.

  • La carte de crédit permet à son titulaire de retirer des fonds ou de faire des paiements, mais le débit est différé et cela s’appuie sur un crédit renouvelable préalablement et contractuellement défini avec un organisme de crédit.

  • La carte de retrait permet à son titulaire d’effectuer des retraits d’espèces dans les distributeurs automatiques de billets.([15])

Il a envisagé plusieurs incriminations relatives aux cartes électroniques.

Ainsi est puni d’un emprisonnement d’un (01) an à dix (10) ans et d’une amende de 100.000 à 10.000.000 FCFA ou de l’une des deux peines seulement :

  • Celui qui contrefait ou falsifie une carte de paiement, de crédit ou de retrait ;

  • Celui qui, en connaissance de cause fait usage ou tente de faire usage d’une carte de paiement, de crédit ou de retrait contrefaite ou falsifiée ;

Les cartes contrefaites ou falsifiées sont en cas de condamnation confisquées et détruites.

De même la confiscation des matières, machines, appareils ou instruments, des programmes informatiques ou des données qui auront servi ou seraient destinés à la fabrication desdits objets peut être prononcée.

  • Est également punissable pénalement, le fait de faire usage ou de tenter de faire usage d’une carte perdue ou volée.

Le titulaire de la carte qui après avoir déclaré la perte ou le vol, fait usage de sa carte, est pénalement punissable.

          Le législateur CEMAC a élaboré depuis 2003 les dispositions juridiques pour faire face à la dématérialisation des opérations bancaires et au développement de la monnaie électronique. Par exemple, la compensation à l’origine manuelle est devenue électronique.

          Il était donc urgent que le législateur adapte notre législation à l’évolution technologique. C’est pourquoi, il a particulièrement protégé le traitement des données dans un système de paiement, il sanctionne sévèrement :

  • L’accès et maintien frauduleux dans un système de paiement,

  • L’accès frauduleux et manipulation des données dans un système,

  • L’accès autorisé et manipulation des données dans un système,

  • La participation à un groupement formé ou à une entente établie, en vue de porter atteinte au traitement des données (Article 274, 275, 276 du règlement CEMAC).

Plus de 15 ans après l’entrée en vigueur du règlement CEMAC n°02/03 sur les instruments, les systèmes et incidents de paiement, il n’est pas tôt de faire le bilan de son application et de mesurer son incidence sur le climat des affaires au Cameroun.

Ce texte a-t-il apporté des changements notables dans la pratique bancaire et l’utilisation des instruments de paiement ?

Ce texte a-t-il facilité les transactions commerciales ?

Le bilan nous semble mitigé. Pour les cartes électroniques et les atteintes au traitement automatisé des données, le législateur a fait œuvre très utile en mettant à disposition des juridictions les textes permettant  de régler les litiges qui apparaissent sur ce terrain ([16]), il y a en revanche un doute sur la mise en œuvre des innovations introduites en matière de chèques.

Les paiements des sommes supérieures à 500.000 Frs chez les commerçants et de 1.000.000 Frs chez les non commerçants continuent à se faire en espèce en dépit de l’amende de 5% prévue pour tout contrevenant. A-t-on vraiment le sentiment tant chez les commerçants que chez les particuliers que l’on est en infraction en payant en espèce pour les montants prohibés ?

 L’interdiction bancaire est difficilement prononcée par les banques à l’égard de leurs clients et ceci en dépit des sanctions mêmes pénales prévues pour leur complaisance éventuelle. Les obligations de vigilance et de diligence du banquier sont ignorées.([17])

La conséquence pratique, c’est l’existence des clients indélicats, qui multiplient les chèques sans provision, sans véritablement être inquiétés. Les établissements bancaires ont de la peine à livrer leurs clients au fichier des clients à risque de la Banque Centrale.

Plus grave, les commerçants se refusent d’utiliser les instruments prévus par la loi pour acheter à crédit (lettre de change, billet à ordre) et préfèrent utiliser les chèques comme instruments de crédit déposés chez leurs fournisseurs.

Pourtant le législateur CEMAC a voulu décourager l’utilisation du chèque comme instrument de crédit. La pratique du chèque de garantie ne semble pas avoir baissé en dépit de la pénalisation de son acceptation.([18])

Les juridictions qui ont un rôle clairement défini en matière de gestion des incidents de paiement semblent amorphes et atones.

Ainsi, les juges répressifs qui condamnent pour émission de chèque sans provision, n’incluent que rarement dans leurs décisions, l’interdiction judiciaire comme prévue par l’article 206 du règlement CEMAC.

De même, les Tribunaux ne semblent pas avoir intégrés le rôle qui leur est dévolu par l’article 235 du règlement qui les invite à communiquer dans les brefs délais à la banque centrale, les interdictions judiciaires prononcées, les mains-levées d’interdiction judiciaire, les levées ou suppressions d’interdictions bancaires.

En retour la banque centrale doit informer les parquets des Tribunaux concernés de la violation des interdictions bancaires ou judiciaires qui lui sont signalées ou qu’elle constate elle-même.

Tel ne semble pas être la réalité vécue au niveau des Tribunaux et des Parquets. Il  y a comme une forme de résistance innommée à la protection pénale des instruments et systèmes de paiement.

Tout se passe comme si les établissements assujettis, les premiers destinataires de cette réforme ne l’acceptent que timidement dans certains aspects.

Les clients des banques et opérateurs économiques qui sont également les utilisateurs des instruments de paiement ne semblent pas s’accommoder aux exigences du règlement CEMAC.

La fonction d’intimidation des potentiels délinquants ne semblent pas porter les fruits escomptés.

Potalis en son temps au sujet de l’efficacité des lois, invitaient les créateurs des normes juridiques à davantage de prudence en écrivant que : « Les lois ne sont pas de purs actes de puissance ; ce sont les actes de sagesse, de justice et de raison. Le législateur exerce moins une autorité qu’un sacerdoce. Il ne doit point perdre de vue que les lois sont faites pour les hommes et non les hommes pour les lois ; qu’elles doivent être adaptées au caractère, aux habitudes, à la situation du peuple pour lequel elles sont faites. »

C’est une loi partiellement observée, partiellement transgressée, même par les banquiers.

Marguerite YOURCENAR a écrit au sujet du non-respect des lois que :

« Toute loi trop souvent transgressée est mauvaise. C’est au législateur à l’abroger ou à la changer ».

          Ce règlement CEMAC dont l’application depuis 16 ans devrait booster le climat des affaires et le système bancaire, n’a pas toujours produit les effets escomptés. Il y a certes un décor juridique bien planté pour lutter contre les infractions en matière de cartes électroniques et de traitement automatisé des données, mais il y a aussi, ce refus systématique d’utilisation des cartes et des chèques pour les transactions comme exigé par le règlement.

          Il y a ensuite en matière de chèque, une résistance des anciennes pratiques et une difficile mise en œuvre de l’interdiction bancaire ou judiciaire.

          C’est dans ce contexte que le législateur camerounais a mis sur pied la loi n°2019/021 du 24 décembre 2019 sur la protection pénale du crédit. Cette loi s’est beaucoup inspirée du règlement CEMAC et présente comme principaux acteurs : les institutions financières et leurs clients.

          La loi n°2019/021 du 24 décembre 2019 fixant certaines règles relatives à l’activité de crédit dans les secteurs bancaires et de la microfinance au Cameroun apporte des innovations majeures et inédites en matière de recouvrement des créances bancaires : elle fixe un régime des responsabilités en cas de non remboursement de la créance empruntée.

          Elle s’applique aux établissements de crédit et aux établissements de microfinance exerçant leurs activités sur le territoire de la république du Cameroun, aux emprunteurs et clients/membres des établissements de crédit ou des établissements de microfinance exerçant leurs activités sur le territoire de la république du Cameroun.

          Ce texte apporte des innovations majeures sur le recouvrement des créances en général([19]) et sur le recouvrement des créances bancaires en particulier.([20]) Est-il encore besoin de rappeler comme le relève le professeur Paul Gérard Pougoué que : « Le recouvrement des créances est essentiel pour la vitalité du Droit et de l’économie »

Cette loi consacre les poursuites pénales contre le débiteur d’une créance bancaire ou d’un établissement de microfinance qui n’a pas remboursé à l’échéance. Peu importe, si l’emprunteur est personne physique ou personne morale. Le délai pour engager les poursuites est de 60 jours à compter du jour de l’échéance de remboursement non respectée, passé ce délai l’institution financière est frappée de forclusion.

L’article 20 de la loi du 24 décembre 2019 dispose au sujet du débiteur personne physique défaillante que : « Est puni d’un emprisonnement de six (06) mois à cinq (05) ans et d’une amende de cent mille (100.000) à cent millions (100.000.000) de francs CFA, ou de l’une de ses deux peines seulement, toute personne qui de mauvaise de foi, n’a pas remboursé le crédit qui lui a été accordé par un établissement assujetti ». Le séjour en prison n’efface pas la dette et ne vaut pas compensation. A la fin de sa peine, le débiteur reste tenu.

          Pour les personnes morales débitrices de crédit, l’article 27 de la loi susvisée dispose au sujet de leur responsabilité pénale que :

 « (1) Les personnes morales sont pénalement responsables des infractions commises pour leur compte par leurs dirigeants ou préposés.

(2) La responsabilité pénale des personnes morales n’exclut pas celle de toute autre personne physique, auteur ou complice des mêmes faits.

(3) La peine encourue par la personne morale est l’amende.

(4) Nonobstant la peine prévue à l’alinéa 3 ci-dessus l’une des peines accessoires prévues par le Code pénal peut également être prononcée à l’encontre des personnes morales en cause »

Les peines d’amende prévues par l’article 20 de la loi, sont prononcées en fonction du montant du crédit non remboursé, le maximum étant de 100.000.000 (cent millions) pour un crédit supérieur à 1.000.000.000 (un milliard) de FCFA.

          En sus des peines principales (emprisonnement et/ou amende) la juridiction pénale saisie peut prononcer à titre accessoire l’interdiction de crédit à l’encontre de la personne physique ou morale condamnée.

          Il convient de relever que la loi du 24 décembre 2019 consacre l’interdiction de crédit à l’encontre de l’emprunteur défaillant. Cette procédure similaire au régime de l’interdiction bancaire ([21]) en matière d’instrument de paiement, vise la diffusion dans toutes les institutions financières et bancaires, le danger ([22]) constitué par les débiteurs personnes physiques ou morales défaillants.

Ils sont désormais persona non grata dans toutes les banques.

          Cette procédure d’interdit de crédit est également applicable aux        co-obligés si le non remboursement est le fait d’un co-obligé.

          En cas d’interdiction de crédit, l’établissement prêteur est tenu, dans un délai de 48 heures d’informer le secrétaire général du Conseil national du crédit ([23]) ou toute autre autorité en tenant lieu ([24]).

          Toutefois, en cas de régularisation par le remboursement, l’établissement bancaire doit donner main levée dans les 48 heures et notifier la mesure au secrétaire général du conseil national du crédit ([25]).

          L’emprunteur poursuivi peut solliciter l’arrêt des poursuites au sens de l’article 64 du Code pénal.

On peut néanmoins être déclaré interdit de crédit par erreur ; dans ce cas le débiteur peut former des contestations et même demander réparation. Il peut aussi solliciter la main levée devant la juridiction de référé compétente([26]).

Cette loi sanctionne aussi l’introduction de faux documents dans le cadre de la conclusion d’une opération de crédit ([27]).

Cette loi consolide également l’infraction, d’atteintes au traitement automatisé de données dans un système de paiement. Lorsqu’elle dispose en son article 23 que : « Est puni d’un emprisonnement de six (06) mois à trois (03) ans et d’une amende de cent mille (100.000) à  cinq (5.000.000) de francs CFA, ou de l’une des deux peines seulement, toute personne qui, de manière frauduleuse, entraine la suppression, la modification des données relative au crédit ou cause une altération du fonctionnement du système de traitement de ces données ».

Pour toutes ces infractions,  de non remboursement de crédit, d’usage de faux documents, d’atteinte au système de traitement de données, le législateur vise également les préposés des établissements bancaires lorsque l’article 24 de la loi du 24 décembre 2019 dispose que : « Les dispositions du Code pénal relatives à la tentative, à la coaction, ainsi qu’à la complicité sont applicables aux préposés des établissements assujettis par les infractions prévues aux articles 20, 21, 22, et 23 ci-dessus ».

Le législateur a bien compris que le risque vient du dehors mais aussi du dedans ; les causes de non remboursement du crédit complaisant sont exogènes et endogènes ; il y a des périls externes, mais aussi des périls internes qui se conjuguent pour plomber la fluidité  du crédit.([28])

Cette loi qui pénalise le non remboursement du crédit ne s’applique pas au crédit assorti d’une sûreté, l’Article 11 en son alinéa 5 dispose à ce sujet que : « Lorsque le non remboursement porte sur un crédit assorti d’une sûreté, l’établissement assujetti prêteur peut réaliser la sûreté dans les conditions prévues par l’acte uniforme OHADA révisé portant organisation des sûretés ». Quelle procédure doit-on appliquer si la réalisation de la sûreté ne couvre pas toute la dette ?

Cette loi intervient dans un contexte particulier, les banques camerounaises ont relevé en décembre 2019, l’existence de 500 milliards de francs de créances compromises accumulées. Ces créances en souffrance pèsent sur les Banques. ([29])

Le législateur est intervenu au regard de la situation des banques classiques, mais surtout compte tenu de la nécessité de protéger les établissements de microfinance qui jouent désormais un rôle important dans notre système économique ([30]).

Envisagée sous ce prisme, cette loi peut servir de déclic pour le recouvrement des créances bancaires au Cameroun.

Le souci d’amélioration du climat des affaires pousse le législateur à chercher les voies et moyens pour briser la résistance des emprunteurs malhonnêtes et indélicats. Mais cela devrait-il se faire à tous les prix ?

La pénalisation du non remboursement d’une créance contractuelle, est-elle synonyme de la défaillance des sûretés auxquelles le législateur OHADA a consacré tout un acte uniforme ? ([31]) Le professeur Laurent AYNES affirmait il y a plus d’une décennie que : « L’importance pratique des sûretés n’est pas à démontrer : sans sûreté, pas de crédit ; sans crédit pas d’économie moderne »

Les sûretés personnelles (cautionnement et garantie autonome) les sûretés réelles mobilières (gage, Droit de rétention, nantissement des stocks) et les sûretés immobilières ont –elles montré leurs limites ?

Il faut par exemple relever que les sûretés réelles mobilières et immobilières peuvent désormais faire l’objet de règlement amiable. C’est le triomphe du pacte commissoire avec la réforme des sûretés en 2010 ([32]).

C’est dire que l’octroi du crédit devrait davantage s’appuyer sur les garanties fiables de remboursement exigées avant l’octroi du crédit. Voilà pourquoi un auteur a écrit : « L’efficacité du recouvrement des créances dépend des dispositions préventives prises en amont par les créanciers pour pallier les risques d’impayés. En réalité le recouvrement des créances se prépare avant même leur naissance» ([33])

Par ailleurs la loi définit de nouvelles incriminations en matière  de recouvrement pour des comportements que le législateur OHADA n’avait pas visé, ni dans l’acte uniforme sur les sûretés, ni dans celui portant procédure simplifiée de recouvrement et les voies d’exécution.

Ce nouveau chevauchement entre le Droit OHADA et le Droit interne camerounais n’est-il pas de nature à poser des difficultés pratiques ? ([34])

Quoiqu’il en soit, nous avons besoin de la force du Droit et de la loi pour faire rayonner nos institutions bancaires et financières.

Nous avons besoin des règles juridiques comme préalable de l’essor de l’économie.

Nous avons besoin de simplifier le recouvrement des créances pour le rayonnement des institutions bancaires et financières.

Nous avons besoin de sécuriser davantage l’utilisation des cartes de paiement, de retrait et de crédit et le traitement automatisé des données dans les institutions financières. Comme le précise un banquier : « La digitalisation des banques ne nous donne pas le choix et dans cette ère bancaire en pleine mutation, le mot d’ordre est sans doute l’adaptation » ([35])

Il faut s’adapter pour survivre et notre Droit, nos Juges ne doivent pas prendre de retard face à l’évolution technologique.

Cependant, le Droit pénal commence à prendre une part trop importante dans l’inexécution des contrats civils ou commerciaux au Cameroun.

En effet, l’inexécution d’une obligation contractuelle ne devrait en principe ne donner lieu qu’à une sanction civile ou commerciale.

De plus en plus, on assiste à une pénalisation des affaires civiles et commerciales.

  • L’article 322-1 du Code pénal dans sa version du 12 juillet 2016 consacre la filouterie de loyers :

«(1) Est puni d'un emprisonnement de six (06) mois à trois (03) ans et d'une amende de cent mille (100 000) à trois cent mille (300 000) francs ou de l'une de ces deux peines seulement, le preneur par bail, dûment enregistré, d'un immeuble bâti ou non qui, débiteur de deux mois de loyers, n'a ni payé lesdits loyers, ni libéré l'immeuble concerné un mois après sommation de payer ou de libérer les lieux.

(2) En cas de condamnation, le tribunal ordonne en outre l'expulsion du preneur et de tout occupant de son chef.»

  • L’article 20 de la loi du 24 décembre 2019 sanctionne pénalement le non remboursement du crédit.

Cela peut faciliter le paiement des loyers ou le remboursement des créances bancaires. Mais le fréquent recours au Droit pénal pour résoudre des questions civiles et commerciales risque de constituer pour notre pays un recul de  l’Etat de Droit.  Nous devons avancer dans cette protection pénale du crédit, mais avec prudence et doigté et en gérant au mieux la notion de « mauvaise foi ». L’article 20 de la loi susvisé parle de : « toute personne qui, de mauvaise foi n’a pas remboursé le crédit… »

          Si on n’y prend garde, la volonté de recouvrement à tout prix, risque de plomber le crédit et de décourager  les potentiels investisseurs.

          En définitive la protection pénale des techniques de paiement et du crédit, s’avère bénéfique pour assainir les transactions économiques et protéger les institutions bancaires et financières : le Droit pénal semble avoir prééminence sur les autres remèdes. D’ailleurs un auteur a écrit à ce propos que :

« Bien que l’utilisation des sanctions pénales dans le domaine des affaires, se heurte à une objection  de la part des opérateurs économiques, il convient de relever que de toutes les sanctions que le législateur peut envisager de mettre en œuvre pour empêcher ou remédier au développement des comportements illicites, sanctions civiles, sanctions administratives, seule la mise en œuvre de la sanction pénale a la chance de développer chez les acteurs économiques, une véritable prise de conscience ».([36])

          A-t-on de justes raisons de penser que le juge pénal va réussir là où les juges civils et commerciaux ont piétiné dans le recouvrement des créances bancaires par la réalisation des sûretés ?

Quelque soit l’objectif envisagé, les Institutions financières doivent revoir en profondeur leur stratégie d’approche auprès de leurs clients, pour ne pas vider les lois de leur substance au moment de leur application. ([37])

          Leurs clients indélicats ne doivent pas être protégés.

Le Professeur Stanislas MELONE disait au sujet de la politique criminelle que : « La justice pénale punit le délinquant qui a péché et pour qu’il ne pèche plus » ([38])

Par exemple, les procédures d’interdiction bancaire et d’interdiction de crédit doivent être effectivement usitées sans complaisance.

          C’est de la sorte et de la sorte seulement que la Protection Pénale des Techniques de Paiement et du Crédit peut éclaircir le ciel du climat des affaires au Cameroun, pour le bonheur des investisseurs.

Merci de votre aimable attention.

 

([1]) Rapport « DOING BUSINESS » : rapport annuel du groupe de la Banque Mondiale mesurant les régulations favorables et défavorables à l’activité commerciale.

([2]) Confère Forum des affaires au GICAM. Confère  Agence de promotion des investissements au Cameroun.

([3]) Droit Pénal des affaires OHADA. Minsi le Competing Douala, 2007

DJILA Rose, le Droit pénal des affaires au Cameroun, l’Harmattan Paris 2015

NDIAW Diouf, La difficile émergence d’un Droit pénal Communautaire dans l’espace OHADA, Revue Burkinabe de Droit 2001.

FRIED (c), les enjeux de la pénalisation de la vie économique, Dalloz 1997, page 102 et suivantes.

([4]) Règlement CEMAC relatif aux systèmes moyens et incidents de paiement

([5]) Cameroun Tribune n°12001/8200 du 27 décembre 2019

([6]) ANOUKAHA François, Les infractions commises dans l’utilisation des instruments de paiement dans la zone CEMAC  mars 2010, in recueil des cours de l’ERSUMA 2015 P.337 et suivantes Recueil des cours de l’ERSUMA, 2015.

 

([7]) Confère règlement n°02/03/CEMAC relatif aux systèmes, moyens et incidents de paiement.

([8]) Confère Article 12 du règlement 02/03/CEMAC

([9]) ANOUKAHA – les infractions commises dans l’utilisation des instruments de paiement dans la zone CEMAC

     Recueil des cours de l’ERSUMA 2015. Droit pénal des affaires page 337 et suivantes.

      Article 4 et 5 du règlement CEMAC.

([10]) confère Article 5 du règlement CEMAC : « La violation des articles 4 et 5 ci-dessus est sanctionnée par une amende de 5% des sommes indûment réglées en numéraire »

(11) Article 253 du Code pénal camerounais disposait que : « Est puni des peines de l’article 318 du présent code, celui qui :

  1. a) émet un chèque sur une banque ou sur un compte postal même étranger, sans provision préalable et disponible ou sans provision suffisante.

  2. b) après émission, même à l’étranger, retire tout ou une partie de la provision ou fait défense au tiré de payer »

(12) L’Article 250 du règlement CEMAC prévoit une peine d’amende de 100.000 FCFA à 3.000.000 FCFA à l’encontre de l’établissement assujetti en infraction.

(13) Article 238 alinéa 5 : est passible des sanctions prévues à l’article 237, toute personne qui accepte en connaissance de cause un chèque sans provision.

 

([14]) Confère Article 201 du règlement CEMAC : « La pénalité libératoire est acquise au trésor public pour les trois quarts de son montant et, à la Banque Centrale pour le quart restant » elle est fixée à 10.000 Frs par tranche de 100.000 FCFA entamée ».

([15]) C’est la plus utilisée chez les fonctionnaires et salariés

([16]) Les infractions en matière de cartes électroniques ou en matière d’informatique dans les institutions financières sont connues par nos juridictions qui appliquent le règlement CEMAC.

([17]) Confère TCHEMALIEU Fansi (Roland), Droit et pratique bancaire dans l’espace OHADA. L’Harmattan, Paris page 124.

([18]) Confère Article 238 alinéa 5 du règlement CEMAC.

([19]) Paul Gérard Pougoué, préface de l’ouvrage, la prévention et le recouvrement des impayés en Droit OHADA page 5.

Le recouvrement des créances est régi par l’acte uniforme sur les procédures simplifiées de recouvrement et les voies d’exécution.

([20]) Les créances bancaires n’avaient de régime particulier qu’à cause des sûretés.

([21]) L’interdiction de crédit comme l’interdiction bancaire vise à décourager les clients des banques en infraction.

([22]) On les présente comme un risque économique pour toutes les institutions financières.

([23]) Le conseil national de crédit joue le même rôle que la BEAC pour l’interdiction bancaire.

([24]) Ces informations doivent être centralisées au niveau national.

([25]) La main levée de l’interdiction de crédit est donnée dans les mêmes formes que pour l’interdiction bancaire.

([26]) Article 17 alinéa 3 : «Si l’entrepreneur estime que l’interdiction du crédit prononcée à son encontre par un établissement assujetti et confirmée par le secrétaire général du conseil national du crédit ou tout autre organisme en tenant lieu est abusive, il peut saisir la juridiction de référé compétente pour en demander la mainlevée »

([27]) Faux états financiers de synthèse.

  • Faux titre foncier

  • Faux chiffre d’affaires

  • Fausse expertise

([28]) Le non remboursement de crédit est souvent le fait de la complaisance des agents chargés de vérifier les dossiers de crédit 

([29]) Confère le magazine de la banque et la finance de l’APECCAM n°007 Page 38.

(30) 419 établissements de microfinance ont été autorisés d’exercer au 30 Juin 2019 au Cameroun confère Cameroun Tribune  n°12020/8219 du 24 Janvier 2020.

Cette loi ne vise pas les débiteurs dont la dette est garantie par une sûreté.

(31) Acte uniforme du 15 décembre 2010 portant organisation des sûretés.

 

([32]) Confère Article 199 de l’acte uniforme sur les sûretés.

([33]) WAMBO (jeremie), la prévention et le recouvrement des impayés en Droit OHADA, éditions JERBERAS, 2018 page 402.

([34])  La loi du 19 avril 2007 désignant le juge du contentieux de l’exécution au Cameroun n’a pas toujours été bien appréciée par la CCJA.

(35) Alphonse NAFACK, Président de l’APECCAM in Magazine de la Banque et de la finance de l’APECCAM décembre 2019 page 38.

 

(36)  DJILA (Rose), le Droit pénal des affaires au Cameroun. L’harmattan, Paris 2015 page 278

(37) Alphonse NAFACK, Président de l’APECCAM in Magazine de la Banque et de la finance de l’APECCAM Décembre 2019 page 38.

([38])  MELONE (S), les Grandes Orientations de la Législation Pénale en Afrique : le cas du Cameroun – R-C-D n°7 P33

 

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