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Je vous remercie, Monsieur le Premier Président, de l'occasion qui m'est
offerte de prendre les réquisitions du Ministère Public au cours de cette
audience solennelle de la Cour Suprême qui marque l'ouverture de
l'année judiciaire 2022.
Monsieur le Président du Sénat,
Monsieur le Président de l'Assemblée Nationale,
Monsieur le Président du Conseil Economique et Social,
Le Parquet Général près la Cour Suprême vous souhaite la bienvenue
dans cette enceinte.
Il vous sait gré d'avoir bien voulu abandonner pour quelque temps vos
importantes occupations pour honorer cette rencontre de votre présence.
Monsieur le Premier Ministre, Chef du Gouvernement,
La Cour Suprême s'honore de vous accueillir.
Elle vous est reconnaissante d'avoir bien voulu accepter d'assister à cette
audience solennelle de rentrée.
Monsieur le Président du Conseil Constitutionnel,
Vous êtes un habitué de ces lieux; soyez remercié d'avoir bien voulu,
une fois de plus, accepter d'honorer notre invitation.
Monsieur le Ministre d'État, Ministre de la Justice, Garde des
Sceaux,
Les hôtes de ces lieux qui sont les vôtres vous renouvellent leur
reconnaissance pour l'honneur que vous leur faites d'assister assidûment
à cette cérémonie.
Mesdames et Messieurs les Ministres, Ministres Délégués et
Secrétaires d'Etat,
Excellence, Monsieur l'Ambassadeur de la République du Gabon,
Doyen du Corps Diplomatique accrédité au Cameroun,
Monsieur le Gouverneur de la Région du Centre,
Monsieur le Président du Conseil Régional de la Région du Centre,
Monsieur le Maire de la Ville de Yaoundé,
Mesdames et Messieurs les Chefs des Cours d'Appel et du Tribunal
Criminel Spécial,
Mesdames et Messieurs les Présidents des Tribunaux Administratifs
Régionaux,
Madame le Bâtonnier de l'Ordre des Avocats au Barreau du
Cameroun,
Madame le Président de la Chambre Nationale des Notaires,
Monsieur le Président de la Chambre Nationale des Huissiers de
justice,
Mesdames et Messieurs,
Honorables invités,
Le Parquet Général près la Cour Suprême vous remercie d'avoir accepté
de répondre à l'invitation qui vous a été adressée.
Cette audience solennelle a comme fondement l'article 33 de la loi n°
2006/016 du 29 Décembre 2006 fixant l'organisation et le fonctionnement
de la Cour Suprême, modifiée et complétée par la loi n° 2017/014 du 12
Juillet 2017.
En cette occasion particulière, vous voudrez bien me permettre de faire
quelques observations sur la préservation de l'ordre public face au défi de
la prolifération des médias.
À côté des médias classiques que sont la presse écrite, la télévision, la
radio, l'affichage et Internet, moyens impersonnels de diffusion
d'informations, coexistent les médias sociaux qui sont des applications
web permettant la création et la publication de contenus générés par
l'utilisateur et le développement de réseaux sociaux en ligne.
Aujourd'hui, les médias sociaux sont fortement sollicités et consultés par
rapport aux médias classiques.
Dans sa publication intitulée: «Comment Google mangera le
monde1 », Larry PAGE, l'un des fondateurs de Google, fait remarquer
que:
« Ce service de recherche sur le web fait partie du quotidien d'un grand
nombre de gens, au même titre que brosser les dents. »
Cette affirmation illustre combien il est difficile de nos jours, de mener une
vie déconnectée des médias en général et des réseaux de
communications électroniques en particulier.
Les supports de l'environnement électronique, les nouvelles technologies
de l'information et de la communication (TIC) ont envahi la vie sociale au
quotidien.
1 Editons L'Archipel, Nouvelle Edition, 2010.
Les nouveaux médias bousculent les habitudes et les moeurs, ils
s'imposent à la science et sont même pris en compte par les politiques
publiques de gouvernance.
En témoigne l'évolution du vocabulaire avec des néologismes tels
« Liker, follower, influenceur, youtubeuse, poster, instagrameuse ... »
La science du droit n'est pas en reste, notamment celle du droit
international, laquelle fait surgir une quatrième génération de droits dite
droit aux nouvelles technologies de l'information et de la communication.
C'est dire que les médias sociaux sont désormais, aux côtés des médias
classiques, une réalité avec laquelle il faut composer. Selon les
statistiques rendues publiques par le Ministère des Postes et
Télécommunications, en Janvier 2021, le Cameroun comptait:
- 9,5 millions d'internautes et près de
- 5 millions d'utilisateurs de réseaux sociaux,
- 4 millions d'abonnés sur Facebook,
- 600.000 abonnés sur Instagram,
- 422.000 abonnés sur TWITTER,
- 200.000 abonnés sur TIK TOK.
Cet engouement s'explique par les potentialités indéniables qu'offrent les
médias sociaux, lesquels sont devenus des vecteurs incontournables de
la communication et des échanges.
L'on assiste en effet à l'envahissement des espaces tant publics que
privés par les médias sociaux. Ils rejoignent les médias classiques dans
l'animation de l'ordre social.
Leurs outils concourent à l'efficience de l'action des administrations
publiques, grâce notamment à la disponibilité de l'information par voie de
stockage, la fiabilité et la sécurisation des données.
Ils facilitent la diffusion en temps réel des connaissances, des valeurs et
des cultures.
Par la diffusion de l'information, ces médias contribuent à l'éducation et la
formation des masses.
Le droit à la liberté de communication, à la liberté d'expression, à la liberté
de presse reconnue aux citoyens par la Constitution2 s'exerce davantage
par leur intermédiaire.
En outre, les médias sociaux établissent une interconnectivité entre des
personnes qui ne se connaissent pas, dispensent les parties prenantes
des rencontres physiques.
Ainsi, ils contribuent au développement des flux économiques, en
favorisant de manière significative la parturition d'une économie planétaire
compatible avec les nécessités de l'urgence, grâce à la connectivité
élargie offerte aux partenaires d'affaires, la possibilité d'obtenir des
prestations en temps réel, et la réduction considérable des frais générés
par les transactions commerciales et financières.
L'irruption des médias sociaux sur la scène internationale a constitué une
véritable révolution.
2 Le préambule de la loi n° 96/06 du 18 Janvier 1996 portant révision de la Constitution du 02 Juin 1972,
modifiée et complétée dans certaines de ses dispositions par la loi n° 2008/001 du 14 Avril 2008.
Il est même admis que les analphabètes du 21è siècle seront ceux qui
ignorent les applications de ces moyens modernes de communication.
La facilitation de l'accès à l'information et à la communication accompagne
par conséquent l'exercice des droits fondamentaux de la personne
humaine et du citoyen. Elle contribue à leur promotion.
Mais, l'immixtion impromptue des médias dans le fonctionnement des
institutions publiques et dans la vie privée des personnes physiques peut
avoir des effets dévastateurs.
Un auteur3, parlant des effets néfastes des médias sociaux sur
l'administration de la justice, déclare
Et je cite:
«Les réseaux SOCiaux, médias à sensations et prises de paroles
impulsives, ont l'effet pervers de nous propulser dans une ère régie par
l'instantanéité des émotions; ils renvoient à l'aspérité d'une société qui
consommerait facilement - parfois non sans une certaine forme de
voyeurisme, la « condamnation virtuelle instantanée}) comme on boit un
café Iyophilisé-, qu'elle serait avide de réflexions de fond, une vision en
forme de rupture manichéenne du bien et du mal, du dominé et du
dominant, de la vertu et du vice, au seuil d'un tribunal virtuel expéditif et
dangereux, où le poids des mots vaut preuve. })
Fin de citation.
3 Charlotte BELUET, Substitut Générale au Parquet Général près la Cour d'Appel de BASTIA, in « Violences
intrafamiliales » article contenu dans : Rendre justice, un portrait de la justice par celles et ceux qui ont la
lourde responsabilité de juger leurs semblables, Mélanges sous la direction de Robert SALIS, Editions CALMANN
LEVY, 2021, PP. 69 et 70.
Et à un autre auteur d'ajouter:
«En plus des reproches récurrents d'une justice trop laxiste ou trop
sévère, trop lente ou trop expéditive, l'un des plus fréquents est qu'elle est
mal comprise et source de méfiance, qu'elle suscite la perplexité ou pire
le mépris.
D'où la tentation de s'emparer des réseaux sociaux pour la remplacer et
se faire justice.
Or, le formidable élan porté par les réseaux sociaux peut impacter et faire
progresser les questions sociétales à condition seulement qu'ils restent
des tribunes de libre expression salutaire et qu'ils ne se transforment pas
en tribunaux expéditifs, bafouant impunément et sans vergogne les
fondamentaux de la justice: le respect du contradictoire, de la présomption
d'innocence et de la loi, car à ce moment-là, les tentations seraient
gravement préjudiciables d'amalgamer justice et vengeance, et de penser
en justicier4. »
Fin de citation
Les autres administrations publiques ne sont pas à l'abri des immixtions
inopportunes.
Entre le furetage dans les informations confidentielles, le piratage des
fichiers, la publication du contenu des dossiers secrets, la fuite des
épreuves des examens et concours, les dénonciations injustifiées des
responsables de service, l'on assiste à un véritable envahissement par les
médias des espaces interdits, avec à la clé, la désorganisation des
services publics et la perte subséquente de confiance des usagers.
4 Robert SALIS, Rendre la justice, un portrait de la justice par celles et ceux qui ont la lourde responsabilité de
juger leurs semblables, Editions CALMANN LEVY, 2021, P. 12.
Mais, ces dérives qui visent à banaliser des institutions publiques, à
empiéter sur leur fonctionnement, à critiquer ou à tenter de remplacer telle
administration dans son rôle régalien, atteignent aussi fortement les
personnes physiques.
Le mardi 06 Juillet 2021, une affaire a défrayé la chronique dans les
réseaux sociaux au Cameroun:
Accusée de complicité de vol de mèches dans un salon de coiffure à
Yaoundé, une femme a été déshabillée et contrainte d'exhiber ses parties
sexuelles devant une caméra; ses images ont ensuite été postées et
répandues dans les médias sociaux.
Cette affaire, comme bien d'autres affaires aussi retentissantes, a
provoqué consternation et indignation. Elle a choqué bien des
consciences et fait resurgir la problématique de la prolifération des
atteintes à la personne humaine dans les médias.
Mesdames et Messieurs,
Le droit à l'information et à la communication reste encadré par les
nécessités de l'ordre public, de la préservation des bonnes moeurs et de
la paix sociale.
Tant les instruments internationaux que la législation interne insistent sur
le nécessaire respect de la dignité humaine.
Dans la Charte des Nations Unies du 26 Juin 19455 , les peuples des
Nations Unies proclament leur foi dans les droits fondamentaux de
l'homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine.
Le préambule de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme6
proclame que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les
membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables
constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le
monde.
Le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques7 reprend à son
compte la même préoccupation.
A l'article 17 de cet instrument, il est stipulé que:
« Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie
privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes
illégales à son honneur et à sa réputation. »
A son tour, la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples8
revient sur la protection de la dignité humaine.
Mais, l'instrument africain est plus explicite que ses précédents, en ce qu'il
associe le respect de la dignité humaine à l'interdiction de toute forme
d'exploitation et d'avilissement de l'homme.
5 La Charte des Nations Unies a été signée à SAN FRANCISCO le 26 Juin 1945. Elle est entrée en vigueur le 24
Octobre 1945 et applicable au Cameroun depuis le 20 Septembre 1960 par succession d'Etat.
6La Déclaration Universelle des Droits de l'Homme a été adoptée par l'Assemblée Générale des Nations Unies à
New-York le 10 Décembre 1948.
7 Le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques a été adopté par l'Assemblée Générale des Nations
Unies le 13 Décembre 1966. Il est entré en vigueur le 23 Mars 1976. Le Cameroun y a adhéré le 27 Juin 1984.
8 La Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples a été adoptée le 27 Juin 1984 lors de la 18è
Conférence de l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA) à NAIROBI au KENYA. Elle est entrée en vigueur le 21
Octobre 1986. Le Cameroun l'a signée le 23 Juillet 1987 et ratifiée le 21 Octobre 1986.
Le principe de protection a été repris dans les législations internes des
Etats.
Au Cameroun, la dignité humaine a valeur constitutionnelle.
En effet, la loi n° 96/06 du 18 Janvier 1996 portant révision de la
Constitution du 02 Juin 19729 en son préambule dispose que le peuple
camerounais:
« Affirme son attachement aux libertés fondamentales inscrites dans la
Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et toutes les Conventions
Internationales y relatives et dûment ratifiés. »
Elle rappelle que « toute personne a droit à la vie et à l'intégrité physique
et morale. Elle doit être traitée en toute circonstance avec humanité. »
Mais, c'est incontestablement en Allemagne que ce droit connaît l'ancrage
normatif le plus abouti. En effet, dès 194910, le respect de la dignité
humaine s'est vu conférée une place capitale par la loi fondamentale,
laquelle dispose en son article 1 er que:
« 1- La dignité de l'homme est intangible. Tout pouvoir public est tenu de
la respecter et de la protéger.
« 2- En conséquence, le peuple allemand reconnaît à l'homme des droits
inviolables et imprescriptibles comme fondement de toute communauté
humaine, de la paix et de la justice dans le monde. »
9 La loi n° 96/06 du 18 Janvier 1996 postant révision de la Constitution du 02 Juin 1972 a été modifiée et
complétée dans certaines de ses dispositions par la loi n° 2008/001 du 14 Avril 2008.
' 10 La loi fondamentale de la République Fédérale d'Allemagne est la Constitution de l'Allemagne depuis le 08
Mai 1949, d'abord pour les Landers de l'Ouest, puis, depuis la réunification du pays, le 03 Octobre 1990 pour le
pays entier.
La jurisprudence est venue abondamment témoigner l'effectivité de ce
principe. Le respect de l'ordre public en général et de la personne humaine
en particulier jouit d'une protection jurisprudentielle étendue.
On peut citer notamment le cas du fournisseur d'accès internet dont la
responsabilité est retenue par la justice, un tribunal français11 ayant fait
injonction à plusieurs fournisseurs d'accès internet et à leurs abonnés
d'empêcher l'accès, à partir du territoire français, à un site internet
considéré comme exhortant à la haine religieuse, raciale et au passage à
l'acte violent contre des personnes.
Les mesures ordonnées par le tribunal étaient définitives et illimitées.
Pour leur part, la Commission européenne des Droits de l'Homme ainsi
que la Cour européenne des Droits de l'Homme utilisent le droit à la dignité
humaine comme l'un des principaux motifs de détermination des violations
des dispositions relatives à l'interdiction de la torture, ainsi que celles
relatives à l'application du droit à la liberté, à la sûreté, et au respect de la
vie privée et familiale.
A son tour, le Conseil d'Etat français prend un arrêt décisif. Dans une
affaire opposant la Commune de MORSANG-SUR-ORGE et la ville d'AIXEN-
PROVENCE12, cette juridiction décide que la dignité humaine est
inhérente et consubstantielle à l'homme et ne saurait lui être enlevée,
même avec son accord.
Le respect de la dignité humaine est une composante de l'ordre public.
Par conséquent, le titulaire du pouvoir de police générale peut interdire
11 Tribunal de Grande Instance de Paris, 3è Chambre, 1ère Section, jugement du 04 Décembre 2014., Aff. SCCP/
ORANGE, FREE, SFR et Bouygues Télécom.
12 Affaire du lancer du nain, Commune de MORSANG-SUR-ORGE, CE, 27 Octobre 1995.
une activité qui porterait atteinte à la dignité d'une personne humaine en
tant qu'étant un trouble à l'ordre public.
La dignité humaine infère que la personne humaine ne peut être traitée
comme un objet, ou employée à une fin qui lui est étrangère, ou même
immorale, qu'elle doit être protégée contre les intrusions extérieures.
Ainsi, une personne humaine ne doit être ni instrumentalisée, ni avilie.
Aucune immixtion arbitraire ou illégale ne doit être faite dans sa vie privée
ou familiale, aucune atteinte illégale ne doit être faite à son honneur ou à
sa considération, la dignité devant signifier respect de l'humanité de toute
personne humaine.
Les dispositions instrumentaires que relaie la jurisprudence, renvoient à
l'indispensable participation des citoyens, et particulièrement les membres
des organes de communication et les utilisateurs des médias, à la
promotion de la paix sociale et la dignité humaine, au moyen de la diffusion
et la propagation des messages qui contribuent à cette fin.
Parce qu'elles touchent à leur intimité la plus sacrée, les populations sont
particulièrement sensibles aux atteintes à la dignité humaine par les
médias.
Or, la qualité des messages et annonces véhiculés par certains organes
de presse et les réseaux sociaux questionne de façon insistante la
moralisation des attitudes et comportements de certains hommes des
médias.
Ces derniers temps, la recherche effrénée du sensationnel alimente des
déballages publics de scandales de toute sorte, la vulgarisation de
l'impudicité et le recul des valeurs morales, au point où l'intrusion des
médias dans la vie tant publique que privée des personnes devient une
préoccupation majeure, aussi bien au sein des foras organisés par les
pouvoirs publics, les organisations de la société civile que par les médias
eux-mêmes.
La ligne éditoriale de certains médias rime en effet avec libertinage,
dépravation des moeurs, diffamation, désinformation, fake news, abus de
tous genres à travers la publication d'images et vidéos intimes, de vidéos
des actes de cruauté, des photos truquées, l'usurpation d'identité à des
fins malveillantes.
Ces dérives ont des conséquences parfois dramatiques, comme la
dégradation de la qualité de la relation entre les personnes, si importante
pour l'équilibre des rapports sociaux, et des immixtions graves dans la vie
privée des victimes. Des enfants en gardent des séquelles indélébiles,
lorsqu'ils ne sont pas entraînés dans la perversité ou tout simplement dans
la spirale de la délinquance.
Le caractère humiliant et dégradant de certaines publications est accentué
par les milliers d'utilisateurs des médias sociaux qui peuvent
instantanément les voir et les divulguer, lorsqu'ils ne font pas simplement
la part belle à la propagation des discours de haine, le recours au
chantage, à la désinformation et l'apologie du crime.
L'on assiste sans répit à la désacralisation des modèles, la sanctuarisation
du vice, la tentative de jeter en pâture des personnalités publiques et de
tourner en dérision des vérités établies.
Cette tendance outrancière atteint les domaines les plus sacrés de la vie
privée des personnes et l'intimité des ménages. Elle provoque la
destruction des vies, l'irruption dans la sphère familiale de diverses formes
de discordes, elle participe à la démystification des valeurs qui soustendent
le socle de la vie communautaire.
Certains médias deviennent ainsi des armes dangereuses en ce qu'ils
fragilisent l'ordre public et portent gravement atteinte aux droits de
l'homme.
L'étendue du phénomène amène les pouvoirs publics à s'émouvoir. De
plus en plus, ils n'ont pas de cesse de tirer la sonnette d'alarme.
Le 30 Juin 2021, à l'occasion de l'installation de Monsieur Joseph
TCHEBONKENG KALABUBSE dans les fonctions de Président du
Conseil National de la Communication, Monsieur le Premier Ministre, Chef
du Gouvernement, engageait ce dernier dans les chantiers de la lutte
contre la propagation des fake-news, des discours haineux, du respect de
la déontologie et de l'éthique de la profession, et lui faisait observer que:
« La diversité des organes de presse, des médias en ligne et d'autres
réseaux sociaux milite en faveur d'une régulation appropriée, en vue
d'assurer un juste équilibre entre la responsabilité sociale du journaliste et
le principe de la liberté de la presse. »
Le 11 Novembre 2021, à l'ouverture de la troisième session ordinaire de
l'année législative 2021, le Président du Sénat, le Très Honorable Marcel
NIAT NJIFENJI, a pu déclarer, et je cite:
« Je m'en voudrais de ne pas évoquer la montée en puissance dans notre
pays des réseaux sociaux, ces nouveaux canaux de communication qui
attestent de la vitalité de notre démocratie et de la liberté d'expression qui
l'accompagne.
Mais dans le même temps, je relève que ces nouveaux outils de
communication, par leurs dérives, soulèvent de nombreux défis liés au
respect des libertés publiques et individuelles, à la stabilité de la
démocratie et à la préservation de la paix sociale.
Dans ce contexte entretenu par certaines personnes, tout est devenu
relatif, le mal en soi n'existe plus. La violence est décomplexée. La
désinformation, les discours de haine, les atteintes à la vie privée et à
l'honorabilité sont trop souvent décriées. »
Fin de citation.
Le Très Honorable Président du Sénat reprenait à son compte un thème
devenu récurrent dans les discours du Chef de l'État.
En effet, dans une allocution prononcée la veille de la 55è édition de la
Fête Nationale de la Jeunesse célébrée le jeudi 11 Février 2021, le
Président de la République, son Excellence Paul BIYA mettait la jeunesse
en garde contre les atteintes portées à l'unité nationale à travers l'usage
des réseaux sociaux.
Dans son message à la Nation du 31 Décembre 2021 13
, le même Chef de
l'Etat faisait le constat suivant:
«Nous avons assisté ces derniers temps à la multiplication de
comportements antipatriotiques, à la prolifération de discours haineux, à
la publication de vidéogrammes violents, obscènes et déshonorants, qui
ont choqué la conscience collective nationale. Dans les médias ou les
réseaux sociaux, la persistance des fake news a contribué à entretenir
des contre-vérités, éloignant ainsi nombre de nos concitoyens de la bonne
information sur des sujets d'importance capitale. »
Fin de citation
13 Cameroon Tribune n° 12508/8707 du lundi 03 Janvier 2022, P. 3.
Et, dans son adresse à la jeunesse le 10 Février 2022, il affirme:
« Pour autant, si l'on peut se féliciter de l'appropriation rapide de la
digitalisation par notre jeunesse, il y a lieu de déplorer par ailleurs, les
dérives que l'on observe dans l'usage de ces avantages technologiques,
notamment dans les réseaux sociaux où le vice, les discours de haine et
la violence verbale foisonnent et ont de plus en plus droit de cité.
«J'invite par conséquent nos jeunes à faire un usage responsable,
instructif et constructif des réseaux sociaux, dont la vocation première est
d'offrir des espaces et des opportunités d'échange, d'information et de
communication dans des domaines les plus variés 14. »
Fin de citation.
Ces dénonciations par la plus haute autorité de l'État répercutent l'émotion
grandissante suscitée au sein de l'opinion publique par les déviances
constatées dans la presse et les médias sociaux.
Elles renvoient à la nécessité pour l'ensemble des institutions publiques,
y compris la presse, de mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour
endiguer le phénomène, afin d'en minimiser les effets pervers.
Mesdames et Messieurs,
La liberté de communication et d'expression ne peut sainement s'exercer
que dans le respect, non seulement de l'ordre public national qu'encadrent
les lois et les règlements de la République, mais aussi des usages et des
bonnes moeurs.
14 CCameroon Tribune n° 12537/8736 du lundi 14 Février 2022
Il faut alors énoncer à cet égard, à la suite de Monsieur Baruch
SPINOZA15 que:
« L'homme juste et libre est celui qui connaît la vraie raison des lois.
L'homme libre qui vit parmi les ignorants s'applique autant qu'il peut, à
éviter leurs bienfaits. »
Le même auteur rappelle par ailleurs:
« Être libre, c'est respecter les autres. »
Dans leurs fonctions régaliennes, les pouvoirs publics contrôlent l'impact
des médias sur le fonctionnement des institutions et sur le respect de la
personne humaine.
Ce contrôle s'adosse sur un dispositif institutionnel de régulation de la
communication en général et des applications des technologies de
l'information et de la communication.
Les questions relatives à la préservation de l'ordre public et la protection
de la vie privée dans le domaine de l'information et de la communication,
relèvent principalement de la compétence de deux organes de régulation
à savoir, l'Agence Nationale des Technologies de l'Information et de la
Communication et l'Agence de Régulation des Télécommunications,
auxquels il convient d'ajouter le Conseil National de la Communication.
L'Agence Nationale des Technologies de l'Information et de la
Communication en abrégé ANTIC, et l'Agence de Régulation des
Télécommunications ART, ont été créées par la loi n° 2010/013 du 21
15 Baruch SPINOZA, né à AMSTERDAM en 1632, mort à LA HAYE en 1677 est un philosophe hollandais. Il étudia
pour devenir rabbin, mais il fut exclu de la communauté juive en 1656, certaines de ses publications lui ayant
attiré l'hostilité des autorités religieuses de l'époque. La pensée de SPINOZA s'offre comme un message à la
fois libérateur à l'égard de toutes les servitudes et porteur de la joie que procure la connaissance (Le Petit
Larousse, 2008)
Décembre 2010 régissant les communications électroniques au
Cameroun.
En son article 3(2), cette loi soumet l'établissement et l'exploitation des
réseaux ainsi que la fourniture des services électroniques au respect des
exigences essentielles pour garantir l'intérêt général, et notamment, la
protection des données personnelles des personnes.
Le Décret n0 2019/150 du 22 Mars 2019 porte organisation et
fonctionnement de l'ANTIC. Il en définit les missions.
L'Agence assure, pour le compte de l'État,
D'une part, la promotion et le suivi de l'action des pouvoirs publics en
matière de Technologies de l'Information et de la Communication (TIC),
Et d'autres part, la régulation, le contrôle et le suivi des activités liées à la
sécurité des systèmes d'information et des réseaux de communication
électroniques, ainsi que la certification électronique, en collaboration avec
l'Agence de Régulation des Télécommunications (ART).
En son article 4(k), le Décret confie spécifiquement à l'Agence, la mission
de:
« Veiller, dans l'usage des TIC, au respect de l'éthique, ainsi qu'à la
protection de la propriété intellectuelle, des consommateurs, des bonnes
moeurs et de la vie privée. »
Le Conseil National de la Communication a été réorganisé par le Décret
na 2012/038 du 23 Janvier 2012, lequel abroge celui na 91/087 du 21 Juin
1991 qui portait organisation et fonctionnement dudit organe.
Ce Conseil a entre autres missions de veiller, par ses décisions et avis, à
la protection de la dignité des personnes, notamment de l'enfance et de la
jeunesse, et d'assurer la liberté et la responsabilité des médias.
Il peut prendre des sanctions disciplinaires, et notamment l'avertissement,
la suspension d'activité, l'interdiction définitive d'activité à l'encontre des
opérateurs publics et privés et des professionnels du secteur de la
communication sociale.
Le dispositif national de régulation s'adosse sur les mesures préventives
contenues dans les Directives qui fixent le cadre juridique de la protection
des droits des utilisateurs de réseaux et de services de communication
électroniques, et harmonisent les régimes juridiques des activités
électroniques dans les Etats membres de la CEMAC.
Ces règles de droit communautaire prévoient un dispositif essentiellement
orienté vers la confidentialité tant des communications effectuées au
moyen des réseaux de communications électroniques accessibles au
public que de celle des données relatives au trafic y afférent.
Dans son esprit, la loi n02010-012 du 21 Décembre 2010 relative à la
cybersécurité et la cybercriminalité s'appuie sur le principe de l'inviolabilité
et du secret des communications électroniques.
Elle édicte des règles visant directement ou indirectement la protection de
la dignité humaine des utilisateurs des terminaux et des services de
communication électroniques et des tiers.
Elle intègre le droit de recourir à l'anonymat, à l'interdiction d'usurper
l'identité d'autrui, elle reconnaît au titulaire des données le pouvoir de
consentir ou de s'opposer à certains traitements de ses données.
En consacrant le droit de recourir à l'anonymat, le législateur camerounais
vise à garantir la tranquillité de l'émetteur qui souhaite rester anonyme, en
exigeant de son opérateur la non-divulgation de son identificateur d'accès.
A cet effet, les opérateurs des réseaux ouverts au public doivent offrir aux
consommateurs, par un moyen simple et gratuit, la possibilité de masquer
leurs numéros.
Toutefois, l'abonné bénéficiaire de l'anonymat ne saurait, sans violer la
loi, s'en servir comme moyen de commission des actes illicites. Le recours
à l'anonymat est en effet interdit dans certains cas, notamment en cas
d'émission des messages électroniques à des fins de prospection.
Par ailleurs, l'article 6, al. 2 in fine de la Directive n° 07/08-UEAC-133-CM-
18 de la CEMAC met à la charge des opérateurs l'obligation de proposer
aux abonnés des systèmes de blocage des appels secrets et des appels
malveillants, lesquels sont très souvent effectués sous le couvert de
l'anonymat.
Mesdames et Messieurs,
L'importance des dégâts que causent la mauvaise utilisation des médias
n'est plus à démontrer.
Face à la nécessité de pourvoir à leur éradication, les services publics
s'emploient à sanctionner les auteurs des actes malveillants.
Le Conseil National de la Communication prononce régulièrement des
mesures administratives à l'encontre des organes de presse, des
dirigeants et des journalistes fautifs.
L'ART diffuse continuellement des messages de mise en garde à
l'attention des utilisateurs des outils de télécommunications.
Outre les sanctions administratives, un dispositif répressif a été mis en
place.
La loi n° 90/052 du 19 Décembre 1990 sur la liberté de communication
sociale consacre un chapitre XI sur les infractions commises par voie de
presse et de communication audiovisuelle.
En son article 74, cette loi énumère les responsables de presse
susceptibles des peines prévues pour les infractions commises par voie
d'organe de presse et de communication audiovisuelle.
Sont ainsi passibles des dites peines, dans l'ordre, comme auteurs
principaux:
- Les Directeurs de publication ou Editeurs, quelles que soient leurs
professions et leurs dénominations ainsi que les auteurs;
- A défaut des personnes visées ci-dessus, les imprimeurs, les
distributeurs, les directeurs des entreprises d'enregistrement ou de
diffusion;
- A défaut des personnes ci-dessus, les afficheurs, les colporteurs,
les vendeurs à la criée.
Les complices sont passibles des mêmes pemes que les auteurs
principaux.
Cette loi renvoie à l'application des dispositions du Code Pénal.
La loi n° 2016-7 du 12 juillet 2016 portant Code Pénal sanctionne
notamment, les crimes et délits contre l'intérêt général, les atteintes à la
moralité publique, les crimes et délits contre les particuliers et notamment
les atteintes à la liberté, à la paix et la tranquillité des personnes.
Le droit à la dignité humaine peut notamment être violé s'il y a :
- Publications obscènes,
- Violation du secret de correspondance,
- Chantage,
- Dénonciation calomnieuse,
- Diffamation,
Injure,
Autant de faits qui sont prévus et sanctionnés aux articles 265, 300, 303,
304, 305,307 du Code Pénal.
Les peines maximales encourues par leurs auteurs peuvent dans certains
cas, aller jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 2.000.000 de francs
d'amende.
La loi n° 20101012 du 21 décembre 2010 relative à la cyber sécurité et la
cybercriminalité est plus explicite sur les droits protégés.
Elle sanctionne spécifiquement la violation des droits fondamentaux des
personnes physiques, notamment le droit à la vie privée, à l'intimité, à la
considération ; elle interdit l'usurpation de l'identité d'autrui lors de
l'émission des messages électroniques, l'écoute, l'interception des
données personnelles lors de leur transmission d'un système à un autre,
le traitement, le stockage ou la publication sans droit des données
personnelles d'une personne.
Les personnes morales sont pénalement responsables des infractions
commises pour leur compte par leurs organes dirigeants.
Cette responsabilité n'exclut pas celle des personnes physiques auteurs
ou complices des faits. Elle ne se limite pas seulement à l'auteur des faits
fautifs. Elle s'étend à tout intermédiaire, technique ou non, professionnel
ou non, tout complice qui prête son concours à la réalisation, à la
répétition, à la propagation de l'infraction, et même au site web qui garde
les informations.
Les peines prévues par cette loi spéciale sont particulièrement
dissuasives. Elles peuvent aller jusqu'à dix ans d'emprisonnement et
50.000.000 de francs d'amende. Dans certains cas, elles peuvent même
être doublées.
Cette sévérité est à la dimension des dégâts causés par les méfaits
décriés. Elle vise à décourager tous ceux qui seraient tentés d'en imiter
les auteurs.
Le juge compétent pour connaitre des infractions commises par voie de
médias, classiques ou sociaux, statue également sur les demandes de
réparation greffées sur l'action pénale.
La demande de réparation peut aussi être portée devant la juridiction
civile.
Le Tribunal peut ordonner la publication du jugement de condamnation,
ou l'insertion dans un ouvrage d'un encart rectificatif.
Les enquêtes préliminaires sont diligentées conformément aux
dispositions du Code de Procédure Pénale. Elles sont menées par les
officiers de police judiciaire à compétence générale, auxquels se joignent
au besoin, des agents habilités de l'Agence de régulation. Ces derniers
peuvent au demeurant, prendre l'initiative des enquêtes.
Dès lors, ceux qui pourraient imaginer que cette catégorie d'infractions
n'est pas traçable doivent se détromper.
Car, comme le rappelle un haut responsable de l'ANTIC, et je le cite:
« Contrairement à une opinion assez répandue selon laquelle le cyber
espace est un milieu non règlementé et où règne un anonymat total, toute
action menée dans le cyber espace laisse des traces, lesquelles peuvent
être exploitées grâce aux outils et techniques de digital forensic pour
identifier l'auteur.16 »
Fin de citation.
Monsieur le Premier Président de la Cour Suprême,
Au bénéfice de ces observations, j'ai l'honneur de requérir qu'il plaise à la
Haute Cour, de
- Déclarer close l'année judiciaire 2021 ;
- Déclarer ouverte l'année judiciaire 2022 ;
- Me donner acte de mes réquisitions;
- Dire que du tout, il sera dressé procès-verbal pour être classé au
rang des minutes du Greffe de la Cour Suprême.
16 Professeur EBOT EBOT ENOW, Directeur Général de l'ANTIC : interview accordée au quotidien national
Cameroon Tribune: Cameroon Tribune n° 12385/8584 du vendredi 09 Juillet 2021.
LE PROCUREUR GENERAL
Luc NDJODO