REQUISITIONS DU PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR SUPREME A L’AUDIENCE SOLENNELLE DE RENTREE DE LA HAUTE COUR DU 22 FEVRIER 2023

6 octobre 2024

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  AUDIENCE SOLENNELLE DE RENTREE

               DE LA COUR SUPRÊME

     

                     22 FEVRIER 2023

                

                           REQUISITIONS

   

         DE MONSIEUR LE PROCUREUR GENERAL

                  PRES LA COUR SUPRÊME 

 

 

 

 

 

 

 

Je vous remercie, Monsieur le Premier Président, de l’occasion qui m’est offerte de prendre les réquisitions du Ministère Public au cours de cette audience solennelle de rentrée de la Cour Suprême au titre de l’année judiciaire 2023.

 

Monsieur le Président du Sénat,

Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale,

Monsieur le Président du Conseil Economique et Social,

 

Le Parquet Général près la Cour Suprême vous souhaite la bienvenue dans cette enceinte.

Il vous sait gré d’avoir bien voulu abandonner pour quelque temps vos importantes occupations pour honorer cette rencontre de votre présence.

 

Monsieur le Premier Ministre, Chef du Gouvernement,

 

La Cour Suprême s’honore de vous accueillir.

Elle vous est reconnaissante d’avoir bien voulu accepter d’assister à cette audience solennelle de rentrée.

 

Monsieur le Président du Conseil Constitutionnel,

 

Soyez remercié d’avoir bien voulu, une fois de plus, accepter d’honorer notre invitation.

Monsieur le Ministre d’Etat, Ministre de la Justice, Garde des Sceaux,

 

Ces lieux sont les vôtres.

Les membres du Parquet Général vous renouvellent leur reconnaissance pour l’honneur que vous faites à la Haute Cour d’assister assidûment à sa cérémonie solennelle de rentrée.

 

Messieurs les Ministres d’Etat ,

Mesdames et Messieurs les Ministres, Ministres Délégués et Secrétaires d’Etat,

Excellences, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, Hauts Commissaires et Représentants des Organisations Internationales,

Monsieur le Gouverneur de la Région du Centre,

Monsieur le Président du Conseil Régional de la Région du Centre,

Mesdames et Messieurs les Chefs des Cours d’Appel, du Tribunal Criminel Spécial et des Tribunaux Administratifs,

Chers Collègues,

Chers Maîtres,

 Mesdames et Messieurs,

 

Le Parquet Général près la Cour Suprême vous remercie d’avoir bien voulu honorer de votre présence cette audience de rentrée de la Cour Suprême.

L’organisation d’une audience particulière pour la circonstance trouve son fondement à l’article 33 de la loi n°2006/016  du 29 décembre 2006 fixant l’Organisation et le Fonctionnement de la Cour Suprême, modifiée et complétée par la loi n° 2017/014 du 12 Juillet 2017.

En cette occasion exceptionnelle, vous voudrez bien me permettre de m’attarder sur la problématique de la coexistence de la publicité et du secret dans l’administration de la Justice.

La coexistence harmonieuse des deux exigences dans la mission de rendre la justice peut surprendre, car, prises dans leur sens étymologique,  les deux notions seraient plutôt antonymiques et même diamétralement opposées l’une à l’autre.

Mais cette harmonie n’a pas toujours existé.

A certaines époques, l’on a assisté soit à l’exclusion, soit à l’édulcoration de l’une par rapport à l’autre.

Pendant des siècles,  la publicité de la justice a été considérée comme un droit naturel. Chez les anciens Grecs et Latins, tous les débats judiciaires se déroulaient au grand jour.

Le principe a toujours été appliqué dans les pays anglo-saxons.

En même temps, le secret qui est le refus du partage de l’information, a paru nécessaire à la justice pour garantir le respect des valeurs cardinales que sont l’indépendance, l’impartialité, l’intégrité, la convenance, l’égalité.  

De la sorte, bien que la manifestation de la justice fût publique, la conception des solutions judiciaires restait cachée.

Cette dernière considération explique qu’à l’époque de la monarchie en France, l'on avait pu considérer pendant longtemps, que la justice ne devait pas de compte à l'opinion.

En 1498, une ordonnance de Louis XII décidait que la procédure deviendrait secrète et que le public serait chassé de l'auditoire.

Pendant près de trois siècles, la clandestinité de la justice demeura la règle.

Au cours de la période allant de 1523 à 1667, sept ordonnances prises par les monarques successifs prescrivirent que la justice devait être rendue à huis clos.

En 1670, Louis XIV codifia toutes les réglementations antérieures et le secret demeura une règle absolue.

 

Mais avec la Révolution française de 1789 et l’avènement de la république, les mœurs et les usages ont évolué.

La publicité a de nouveau été admise comme une exigence essentielle à l’administration de la justice. Elle est redevenue un principe fondamental du fonctionnement de la justice.

Dans ce sens, le Sénateur JOLIBOIS, Rapporteur dans la mission d’information de la Commission des lois sur le respect de la présomption d’innocence et le secret de l’enquête et de l’instruction en France  a pu déclarer :

« Le secret entretient le soupçon. »

Pour Mme Laurence BOURGORGUE-LARSEN,

« La publicité a une double finalité dans un Etat de droit : le contrôle public de la justice et la confiance dans les tribunaux. »

Et dans un arrêt du 24 Novembre 1995, la Commission Européenne des Droits de l’Homme qui a considéré que la publicité était un moyen d’agir de manière transparente, a estimé que la  raison d’être de la publicité résidait, non seulement dans l’octroi d’une garantie au justiciable, mais aussi dans l’intérêt général, afin de ne pas laisser l’administration de la justice échapper au contrôle du public.

Le contrôle résiderait dans la publicité des débats judiciaires et du prononcé des jugements. Dans la pratique, il commande que les salles d'audience soient accessibles au public et que la publicité des audiences ne soit pas entravée.

La publicité des débats permet de s’assurer que le justiciable s’est réellement défendu, qu’il n’a pas subi des intimidations, des tortures ou d’autres entraves dans la protection de ses droits.

Il y va de la légitimité de la justice, de la transparence du processus de son administration et de la confiance des citoyens dans le système judiciaire.

 

Héritage révolutionnaire, la publicité fait aujourd’hui partie des principes fondamentaux du procès équitable garantis par les conventions internationales.  

L’article 10 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre1948 prescrit que les justiciables ont droit à un procès public.

La Convention de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales, plus connue sous le nom de Convention Européenne des Droits de l’Homme a inscrit ce principe à son article 6-1 qui dispose en substance que toute personne faisant l’objet d’une contestation de ses droits ou d’une accusation en matière pénale, a le droit à ce que sa cause soit entendue publiquement par la juridiction, et que le jugement soit rendu publiquement.

Au Cameroun, le droit au procès public résulte implicitement de  l'interprétation du Préambule de la Constitution du 18 Janvier 1996, qui situe la conduite de tout procès dans le strict respect des droits de la défense.

 

Le régime de la publicité dans l’administration de la justice a été fixé à l’article 6 de la loi n°2006/015 du 29 décembre 2006 portant Organisation Judiciaire.

Ce texte prescrit :

« Alinéa 1er : la justice est rendue publiquement et toute décision est prononcée publiquement ;

Alinéa 2 : Toute violation de l'alinéa 1er ci-dessus entraîne nullité d'ordre public de la procédure de jugement ;

Alinéa 3 : Toutefois, en cas de disposition expresse de la loi, les débats ont lieu hors la présence du public, en Chambre du Conseil. En outre, toute juridiction peut d’office ou à la demande d’une ou de plusieurs parties et dans une affaire déterminée, ordonner le huis clos pour tout ou partie des débats, lorsque la publicité apparait dangereuse pour la sûreté de l’Etat, l’ordre public ou les bonnes mœurs. Dans ce cas, les débats ont lieu hors la présence du public et mention en est faite dans la décision qui est rendue publiquement. »

 

A l’origine intrinsèquement lié au procès pénal, l’exigence de publicité s’est donc étendue  à la procédure judiciaire en général et insérée dans les droits procéduraux, et notamment

  • à l’article 26 du Code de Procédure Civile et Commerciale applicable au Cameroun,
  • à l’article 302 de la loi n°2005/007 du 27 Juillet 2005 portant Code de Procédure Pénale,
  • à l’article 48 de la loi n° 2006/022 du 29 Décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des Tribunaux Administratifs. 

 

 

Le principe de la publicité a été étendu à la matière constitutionnelle par l’article 15 de la loi n°2004/004 du 21 avril 2004 portant organisation et fonctionnement du Conseil Constitutionnel qui stipule :

 

Alinéa 1er : les décisions du Conseil constitutionnel sont lues en séance publique ;

 

Alinéa 2 : Elles sont notifiées aux parties concernées et publiées au journal officiel ».

 

Le principe de publicité du procès est un corollaire à l’exigence du contradictoire.

Il garantit la qualité du débat puisqu’il permet au  public d’assister à l’audience et de se rendre compte de la façon dont est rendue la justice.

Il participe à l’exigence de probité et d’impartialité du juge.

Concrètement, il signifie que non seulement l’accès aux salles d’audience est libre, mais que la presse peut assister aux débats et effectuer des comptes-rendus.

Il signifie aussi que lecture de la décision rendue est faite en audience publique, que la faculté est accordée aux parties de consulter le dossier après son dépôt au greffe, et que dans tous les cas, les tiers peuvent se faire délivrer une copie de la décision.

L’article 14 alinéa 1er du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques conclu à NEW YORK le 16 Décembre 1966 et entré en vigueur au Cameroun le 27 Septembre 1984, souligne à cet effet que :

« tout jugement rendu en matière pénale ou civile sera public, sauf si l’intérêt de mineurs exige qu’il en soit autrement ou si le procès porte sur des différends matrimoniaux ou sur la tutelle des enfants. »

 

Toutefois, la publicité des débats est soumise à des restrictions lorsqu’elle est dangereuse à la sûreté de l’Etat ou susceptible de porter atteinte à l’ordre public ou aux bonnes mœurs.

 

La justice étant rendue au nom du peuple camerounais, celui-ci est en droit de savoir comment le juge l’administre au justiciable.

Mais, si la publicité du procès fait aujourd’hui partie des principes fondamentaux du procès équitable, elle ne garantit pas toujours l’accès à une justice qui se veut transparente, impartiale et à l’abri de toute pression.

Administrée sous tambours et trompettes, la justice court le risque de perdre la sérénité qui doit entourer la mission confiée au  juge de dire le droit.

Les restrictions portées à la publicité participent alors du souci de préserver l’Etat de droit et la stricte sauvegarde des intérêts de toutes les  parties.

Dans ce sens, l’article 14 al. 1er précité du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques, précise que :

« … le huis clos peut être prononcé pendant la totalité ou une partie du procès, soit dans l’intérêt des bonnes mœurs, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, soit lorsque l’intérêt de la vie privée des parties en cause l’exige, soit encore dans la mesure où le tribunal l’estimera absolument nécessaire, lorsqu’en raison des circonstances particulières de l’affaire, la publicité nuirait aux intérêts de la justice. »

Ainsi, en dépit de l’importance reconnue à la publicité, l’on peut dire avec Monsieur Henri ROUSSILLON que ce n’est pas une panacée, car, des décisions meilleures peuvent se prendre dans des espaces fermés. 

Pour cet auteur, il n’est pas sûr que la participation du juge à la douloureuse gestation de la loi ait beaucoup à gagner à se dérouler au grand jour.

Les réticences observées face à une publicité tapageuse se sont exacerbées avec la montée d’une opinion qui suggérait de porter le débat dans les médias. Pour M. Henry ROUSSILLON, ce n'est pas forcément le meilleur moyen de parvenir à une justice sereine, car tout compte fait, la publicité des débats ne se limite pas à l'installation d'un décor public.

 

En tout état de cause, des raisons objectives militent en faveur de la limitation de la publicité dans l’administration de la justice et justifient les restrictions contenues dans les textes qui la consacrent.

Les aménagements que connait le principe de la publicité proviennent  principalement de la nécessité de protéger l’intérêt général.

La publicité des débats est modulée en fonction de considérations tenant au respect de l’ordre public, de la sécurité nationale, et de la sérénité de la justice.

Mais elle est aussi modulée dans l’intérêt des parties et particulièrement, pour la protection des mineurs et de la vie privée.

L’institution des audiences à huis clos répond à ces considérations.

Le huis clos postule que les débats se déroulent hors la présence du public. Seules les parties intéressées et leurs avocats peuvent pénétrer dans la salle d’audience.

Du fait de son caractère exceptionnel et dérogatoire au principe de publicité de la justice, le huis clos ne concerne que l’audience, les débats et les jugements séparés qui interviennent sur des exceptions ou des incidents.

Le huis clos présente deux modalités différentes en ce qu’il peut être, soit laissé à l’appréciation du juge, soit ordonné de droit.

Lorsque le huis clos est laissé à l’appréciation du juge, le président de la juridiction saisie statue, soit d’office, soit sur la demande des parties, lorsque ces dernières peuvent vouloir garder leur différend secret.

Dans les deux cas, ce magistrat apprécie, au regard de la nécessité de respecter l’ordre public et les bonnes mœurs, l’opportunité de prononcer ou non le huis clos, en fonction des circonstances de chaque espèce.

En matière pénale, le huis clos peut intervenir dans deux situations :

  • D’une part, il peut être ordonné par le juge, en audience publique, par une décision avant dire droit motivée : le juge constate alors que la publicité est dangereuse pour l’ordre public ou les bonnes mœurs.
  • D’autre part, dans le cadre de la police d’audience, le juge peut ordonner le huis clos, lorsque les débats sont perturbés par les applaudissements, les commentaires ou intimidations, les gestes d’approbation ou de désapprobation des personnes présentes dans la salle.

 

En matière civile, le huis clos  est notamment ordonné quand le contentieux dont le juge est saisi se rattache au mariage ou à l’état des personnes physiques, et notamment dans les affaires de divorce et de la tutelle des enfants.

Le prononcé du huis clos a dans ce cas pour but la préservation de l’intimité ou de la vie privée des personnes, pour éviter la divulgation inopportune  du scandale que provoquerait un plaideur déçu par la décision rendue.

L’audience civile se déroule alors en chambre du conseil devant un public restreint.

 

En matière administrative, le recours au huis clos obéit globalement aux mêmes conditions que dans les autres matières, le juge administratif camerounais disposant du pouvoir d’appréciation à cet effet, lorsqu’il estime la publicité dangereuse pour l’ordre public ou les bonnes mœurs.

 

Outre ces situations où le juge dispose d’un pouvoir d’appréciation, le huis clos est prononcé de droit dans certains cas fixés par la loi.

L’article 720 du Code de Procédure Pénale prévoit, à peine de nullité du jugement à intervenir, que le huis clos est obligatoire devant toute juridiction appelée à connaitre d’une affaire dans laquelle un mineur est impliqué.

Sont seuls admis à assister aux débats : les parents, tuteur, avocats, représentants des services ou institutions s’occupant des problèmes de l’enfance et les délégués à la liberté surveillée.

Le président peut aussi autoriser les représentants des organisations de protection des droits de l’homme et de l’enfant à assister aux débats ;

Après l’audition du mineur, il peut, à tout moment, ordonner que celui-ci se retire pendant tout ou partie de la suite des débats. Il peut en outre ordonner aux témoins de se retirer après leur audition.

 

 

En Union Européenne, le principe  de la restriction de la publicité est largement appliqué.

 

La Convention Européenne des Droits de l’Homme et sa jurisprudence admettent notamment que dans certains cas,  les parties à l’instance puissent elles-mêmes renoncer à la publicité des débats, à condition que cette renonciation soit non équivoque, et qu’elle ne résulte pas d’une contrainte

 

 

Elles admettent surtout, que l’absence de publicité des débats puisse être fondée sur la spécificité du contentieux en question, dès lors que celui-ci présenterait dès la première instance un caractère purement technique, ne mettant en jeu aucun intérêt public

 

 

Lorsque la procédure concerne l’intérêt de personnes mineures au moment des faits, ou lorsqu’il y a une menace pour la vie privée des parties à la procédure, la Convention sanctionne systématiquement les Etats qui admettent la présence du public dans la salle d’audience.

 

 

Dans tous ces cas, la Convention  évite que des journalistes soient dans la salle d’audience et diffusent l’information, et les audiences se tiennent en Chambre du conseil.

 

En règle générale, le principe de publicité de la justice s’oppose à la  médiatisation de son administration, et notamment celle de la diffusion audiovisuelle ou d’enregistrement des débats judiciaires.

 

Si les journalistes possèdent un libre accès aux salles d’audience, l’enregistrement des débats est cependant interdit, sauf sur autorisation du juge.

L’article 306 du Code de Procédure Pénale camerounais dispose à cet effet que l’emploi de tout appareil d’enregistrement ou de prise de vues est interdit sous peine de sanctions prévues à l’article 198 (2) du Code Pénal, et si nécessaire, de la confiscation des appareils dans les conditions prévues  à l’article 35 du même Code.

Toutefois, pour permettre à un plus grand public de suivre le déroulement des débats, le Président peut, par décision motivée, autoriser la sonorisation de la salle d’audience et l’usage d’appareils d’enregistrement ou de diffusion sonores.

 

 

 Excellences, Mesdames et Messieurs,

 

Les restrictions portées au principe  de publicité de la justice font migrer inéluctablement la réflexion vers l’association du secret et de la publicité dans l’administration de la justice.

L’évocation de cette problématique est d’autant plus appropriée qu’au même titre que la publicité, le secret a aussi reçu un écho favorable dans l'ordonnancement juridique international et en droit interne.

Dans les faits, les délibérations secrètes et la restriction de la publicité des débats sont des exceptions procédurales qui, de longue date, dérogent légalement au principe de publicité des débats judiciaires.

Des auteurs s’accordent au demeurant à reconnaitre au secret, l’objectif de garantir l’accès à un tribunal équitable et celui de marquer l’autorité morale des décisions de justice qui sont des gages procéduraux d’une justice crédible.

 

Il est cependant utile de distinguer le secret judiciaire du droit au silence, même si les deux notions sont dans certaines circonstances très proches et peuvent entraîner les mêmes conséquences.

Le droit au silence ou le droit de garder le silence est prévu à l’article 116 du Code de Procédure Pénale et serait le corollaire de la présomption d’innocence.

Il permet au mis en cause de refuser de parler, de répondre aux juges et aux enquêteurs sans encourir de sanction pénale, et ce, pour tous les types de crimes et délits.

L’article 14 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques qui institue le droit de ne pas s’auto-incriminer dispose entre autres que toute personne accusée d’une infraction pénale a droit, en pleine égalité, à ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s’avouer coupable.

Dans un arrêt du 25 Février 1993, la Cour Européenne des Droits de l’Homme rappelait que l’article 6-1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme permettait à tout accusé de se taire et de ne point contribuer à sa propre accusation.

Ce droit au silence permet ainsi au suspect de refuser de s’exprimer s’il estime cette position conforme à ses intérêts. Il participe de la liberté individuelle, en ce que nul n’est obligé de s’exprimer lorsqu’il n’en a pas envie.

Mais, ce droit n’a cependant pas pour objet de disculper. Dans certaines circonstances, des conséquences défavorables au mis en cause peuvent être déduites de son silence, si les situations auxquelles il était invité à répondre appelaient des explications susceptibles de plaider en sa faveur.

 

Le secret dans l’administration de la justice pour sa part revêt deux formes majeures, à savoir d’une part, le secret dit de la chose judiciaire, et d’autre part, le secret dit professionnel.

 

Le secret de la chose judiciaire s’applique dans le fonctionnement interne de la justice. Il s’agit du secret que la justice, en tant qu’entité, est en droit d’invoquer à l’égard de l’extérieur, à l’égard du public.

Il concerne particulièrement la matière pénale.

Le principe est acquis que le secret de la chose judiciaire vise entre autres, à préserver la présomption d’innocence, à protéger les témoins éventuels et l’opinion publique contre les abus de toute sorte.

Il aide à garantir la sécurité et l’efficacité des investigations  menées par l’officier de police judiciaire lors des enquêtes préliminaires, et par le juge d’instruction dans la phase de l’instruction préparatoire.

En son article 102, le Code de Procédure Pénale dispose :

Al.1 : « La procédure durant l’enquête de police est secrète. Toutefois, le secret de l’enquête n’est pas opposable au Ministère Public. »

Al. 2 : « Toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel sous peine des sanctions prévues à l’article 310 du Code Pénal. »

 

S’agissant de l’information judiciaire, l’article 154 du même Code sanctionne desdites peines de l’article 310 du Code Pénal, toute violation du secret professionnel par une personne concourant à une procédure d’instruction préparatoire.

Toutefois, le secret de l’information judiciaire n’est opposable, ni au Ministère Public, ni à la défense.

 

Pour les besoins d’efficacité, le législateur a admis que l’officier de police judiciaire et le juge d’instruction puissent, lorsqu’ils l’estiment utile à la manifestation de la vérité, faire entorse au principe du secret.

Les officiers de police judiciaire peuvent, après visa du Procureur de la République, publier des communiqués et documents relatifs à certaines affaires dont ils sont saisis.

Le législateur admet aussi que le juge d’instruction puisse effectuer publiquement certaines de ses diligences, ou faire donner par le Procureur de la République des communiqués sur certains faits portés à sa connaissance.

Cette publicité est cependant restreinte, le texte prescrivant que les communiqués et documents ainsi publiés soient diffusés sans commentaires par les organes de presse.

 

En règle générale, la diffusion par quelque moyen que ce soit de nouvelles, de photographies, d’opinions relatives à une information judiciaire est interdite jusqu’à l’intervention d’une ordonnance de non-lieu ou, en cas de renvoi, à la comparution de l’accusé devant les juridictions de jugement.

 

Les auteurs de toute expression publique sur la culpabilité de l’accusé et de toute diffusion portant atteinte, soit à l’honneur, soit  à la vie d’une personne par des outrages, et notamment la diffamation, l’injure ou la menace faites soit par des gestes, paroles, ou cris proférés dans des lieux ouverts au public, soit par tout procédé destiné à atteindre le public s’exposent à des peines prévues par la loi.   

 

 Le secret de la chose judiciaire s’applique également aux délibérations.

En droit français, le secret du délibéré est une règle traditionnelle, et par un arrêt du 09 Juin 1843, la Cour de Cassation française a jugé que ce secret était un principe général du droit public français.

Plus récemment, le Conseil d’Etat français, par une décision du 17 Novembre 1992, a conclu que le secret des délibérations était un principe général de droit s’imposant à toutes les juridictions.

Au Cameroun, le secret des délibérations est une règle impérative.

Il permet de préserver la confidentialité des délibérations et aussi, l’efficacité de l’exécution de certaines décisions de justice.

Il est prescrit, non seulement aux juges, mais aussi à tous ceux qui assistent aux délibérations, et notamment les assesseurs désignés dans la poursuite et le jugement des mineurs.

Le secret des délibérations s’inscrit dans la durée.

La pérennité du secret des délibérations et la non divulgation du contenu des échanges survenus lors de leur déroulement sont formellement prescrits. Les discussions opportunes, les divergences d’opinion, les incidents éventuels restent secrets, tant pendant le déroulement des délibérations qu’après le rendu de la décision de justice les sanctionnant.

Les juges sont astreints au silence. Et il n’existe pas un délai à l’issue duquel ils en seraient déliés.

 

Il existe ensuite un secret dit professionnel.

Les détenteurs du secret professionnel sont tous ceux qui, à un moment donné, revêtent la qualité de confident nécessaire. Le secret professionnel est invoqué la plupart du temps par les auxiliaires de justice et les membres des professions libérales.

Il diffère du secret de la chose judiciaire en ce qu’il aurait plutôt pour effet d’entraver les investigations de la justice.

Dans le principe, le secret professionnel peut être opposé au cours du procès.

L’article 310 du Code Pénal punit d’un emprisonnement de trois mois à trois ans, et d’une amende de 20.000 à 100.000 francs celui qui révèle sans l’autorisation de celui à qui il appartient, un fait confidentiel qu’il n’a connu ou qui ne lui a été confié qu’en raison de sa profession ou de sa fonction.

Il en est ainsi notamment du médecin et du chirurgien qui sont toujours tenus au secret professionnel, sauf dans la limite d’une réquisition légale ou d’une commission d’expertise.

Le fonctionnaire destinataire d’un ordre écrit du Gouvernement est soumis à la même retenue, laquelle s’applique également au ministre du culte et à l’avocat, dans leurs domaines respectifs d’intervention.

Seules sont admises et dispensées de la sanction pénale, les déclarations faites aux autorités judiciaires ou de police judiciaire portant sur des faits susceptibles de constituer un crime ou un délit, et les réponses en justice à quelque demande que ce soit.

 

 

Des types spécifiques du secret professionnel s’imposent à l’attention du juge, parmi lesquels se démarquent le secret d’Etat et le secret bancaire.

Le secret d’Etat constitue, soit un motif de poursuite à l’encontre de la personne qui l’a violé, soit alors un privilège derrière lequel s’abrite un témoin, une victime ou un mis en cause pour ne pas communiquer des informations susceptibles de nuire aux intérêts de l’Etat.

Il prime sur toutes autres normes se rapportant à la restriction de la publicité, à l’instar notamment, de celles régissant le secret des sources d’informations dont bénéficie l’activité journalistique.

En droit comparé, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a pu affirmer que la protection des secrets d’Etat justifiait une atteinte au secret des sources journalistiques.

Aux yeux de ladite Cour, la protection des sources journalistiques n’est pas un droit absolu. Elle peut céder devant les intérêts supérieurs de l’Etat.

La préservation du secret d’Etat est strictement exigée. Le droit pénal camerounais sanctionne notamment et spécifiquement la violation du secret de la défense nationale.

L’article 109 du Code Pénal définit  le secret de la défense nationale comme étant tout renseignement de toute nature susceptible d’aider des entreprises hostiles contre la République et qui n’a pas déjà été rendu public.

Les dispositions légales relatives à la mise en œuvre de la protection de cette forme de secret s’appliquent également aux actes commis au préjudice des puissances étrangères auxquelles elles ont été étendues par décret.

Les infractions portant atteinte au secret d’Etat sont réprimées avec  sévérité, au regard du péril que celles-ci présentent pour la sécurité nationale et plus généralement, pour les intérêts supérieurs de l’Etat.  

 

Le secret bancaire est également opposé aux juridictions de jugement.

La loi n° 2003/004 du 21 avril 2003 relative au secret bancaire au Cameroun dispose que : 

« le secret bancaire consiste en l’obligation de confidentialité à laquelle sont tenus les établissements de crédit par rapport aux actes, faits et informations concernant leurs clients, et dont ils ont connaissance dans l’exercice de leur profession ».

La publicité qui entoure le procès pénal a pour effet de propager toute sorte d’informations dans le public. Pour des esprits malveillants, l’accès à ces informations peut être l’occasion de dérives contraires à la paix publique et à la tranquillité des personnes.

Le bienfondé du secret bancaire réside alors en la préservation de la vie privée de la personne, et la mise de ses avoirs et développement à l’abri des regards malveillants.

 Toutefois, l’opposabilité du secret bancaire ne saurait être absolue.

Celui-ci peut être levé lors du procès pénal pour les besoins de recherche des preuves des infractions et du corps du délit, notamment, lorsque les faits reprochés au présumé délinquant sont constitutifs d’une infraction à la législation financière ou économique.

Dans les faits, la banque est le canal naturel où transitent des produits de plusieurs infractions à caractère financier ou économique. Le blanchissement «d'argent sale» se passe généralement sous son couvert.

Un auteur a pu dire que «  les blanchisseurs sollicitent beaucoup et presque toujours la banque, parce que cette dernière assure à leur butin, un refuge paisible et anonyme, grâce au secret auquel sont tenus ses agents. C’est le secret bancaire en effet qui attire ces criminels qui, sans scrupule, y recourent pour cacher leurs fortunes afin de les débarrasser des odeurs de corruption et de trafics de tous genres dont elles sont issues à l’origine.»

Le phénomène des paradis fiscaux en est un parfait symbole.

 Des banques nichées dans des zones de non droit récupèrent des fonds sans se soucier de leur provenance, sachant qu’elles n’auront pas  à rendre des comptes. D’importantes sommes d'argent distraites à l'occasion de diverses prévarications et des détournements ne peuvent être rapatriées. Elles ne peuvent pas servir de preuve des infractions poursuivies ni faire l’objet de restitution.

 

Parallèlement, comme le soulignait un expert d’Interpol, « des groupes criminels achètent des banques en Afrique pour s’en servir comme points de transit, avant de transférer les fonds dans d’autres banques, sur des marchés financiers plus solides. »

 

Face à ces situations préoccupantes, le législateur habilite les autorités de la Commission bancaire qui enquêtent sur le blanchiment, à solliciter des informations auprès des établissements de crédit sans que le secret bancaire ne puisse leur être opposé

D'autre part, les autorités judiciaires, et plus précisément  les procureurs de la république, sont destinataires des informations venant de la banque, chaque fois que les dirigeants ou les agents de celle-ci savent ou pensent que les sommes en cause proviennent d'infractions à la législation sur les stupéfiants ou au blanchiment d'argent..

 

Excellences, Mesdames et Messieurs,  

 

Cette architecture législative a été mise en place par les pouvoirs publics camerounais pour concourir au renforcement de l’Etat de droit.

 Au même titre que la publicité, le secret participe de la préservation du bon ordre et de la protection des intérêts généraux de la société.

L’administration de la justice intègre ces deux caractéristiques  par nécessité. 

Mais, nombre de dérives sont régulièrement observées dans la mise en œuvre des dispositions encadrant le secret dans l’administration de la justice.

Dans une communication spéciale délivrée le 02 février 2018, à l’occasion de l’audience solennelle de prise de fonction du Président du Tribunal Criminel Spécial, le Garde des Sceaux, Ministre d’Etat, Ministre de la Justice, Monsieur Laurent ESSO, rappelait fort opportunément que le législateur camerounais, à l’image de bien d’autres législations à travers le monde, consacre le principe du secret en matière de procédure pénale, dans le

« souci d’éviter d’étaler en public, le délicat travail de recherche des preuves effectué tant par l’officier de police judiciaire que par le Juge d’Instruction, souci de sauvegarder la présomption d’innocence en mettant la personne poursuivie à l’abri de la calomnie et de la médisance, souci de protéger les témoins éventuels, souci de protéger l’opinion publique contre les abus de ceux qui seraient motivés par le goût du scandale et du sensationnel. »

Dans la même communication, l’orateur fustigeait « la prolifération et la propagation des rumeurs et des fausses nouvelles sur des affaires en cours qui continuent de prospérer en même temps qu’elles constituent une grave agression à l’encontre de la sérénité de la justice…les inculpations sont posées dans des déclarations publiques sans tenir compte des éléments constitutifs des infractions, la présomption d’innocence est complètement détruite par un populisme judiciaire, les plaidoiries se font ailleurs et non devant les juges. ».

Fin de citation.

 

Le Ministre d’Etat a entendu partager le souci du législateur camerounais qui, après avoir institué en amont le principe du secret au long de la procédure pénale, a également prévu en aval des sanctions contre la violation de ce principe.

Des sanctions pénales sont prévues à l’encontre des auteurs des comportements décriés, lesquels constituent entre autres, les infractions de propagation de fausses nouvelles, de commentaires tendancieux, de publications équivoques ou de l’apologie de certains crimes et délits.

La répression de ces dérives par le législateur camerounais vise à assurer un juste équilibre entre la publicité qui garantit la transparence de la procédure judiciaire et le  secret qui, d’une part, évite l’étalage en public du travail d’investigations de l’officier de police judiciaire et du juge d’instruction, et d’autre part, assure la sérénité dont le juge de jugement a besoin pour parvenir à une bonne justice.

Pour leur part, les fonctionnaires qui participent à la mission de rendre la justice  sont constamment soumis à l’examen critique du public.

Ils sont particulièrement concernés par les prescriptions légales  relatives aux exigences de publicité et de secret.

 Il leur appartient par conséquent, d’accepter les restrictions personnelles y afférentes, lesquelles peuvent certes être considérées comme pesantes par le citoyen ordinaire.

Ces fonctionnaires sont appelés à le faire de façon libre et volontaire, pour conformer  leur conduite à la dignité de la fonction d’officier de police judiciaire ou de magistrat,   car en plaçant des bornes à la publicité, et en faisant intervenir le secret dans l’administration de la justice, le législateur a voulu magnifier le rôle  central qu’occupent leurs activités respectives dans la mission de sauvegarde de l’ordre public, de l’intérêt général et des bonnes mœurs.

Sur le plan disciplinaire, des sanctions peuvent être prononcées à l’encontre de ceux de ces fonctionnaires qui violeraient l’exigence de secret dont doit s’entourer l’accomplissement de certains actes de leurs fonctions.

L’ordre public, l’intérêt général et la sérénité de la justice s’en trouveraient sauvegardés.

 

 

Monsieur le Premier Président de la Cour Suprême,

Au bénéfice de ces quelques observations, j’ai l’honneur de requérir qu’il plaise à la Haute Cour, de :

  • déclarer close l’année judiciaire 2022 ;
  • déclarer ouverte l’année judiciaire 2023 ;
  • me donner acte de mes réquisitions ;
  • dire que du tout, il sera dressé procès verbal pour être classé au rang des minutes du Greffe de la Cour Suprême.

 

 

LE PROCUREUR GENERAL,

 

 Luc NDJODO

  • +237 222 23 06 77

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